La grande salle d’audiences du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou a refusé du monde ce mercredi 15 décembre 2021 ; et pour cause, « les organisateurs de la marche du 27 novembre 2021 » : Adama Tiendrebéogo dit Colonel, Abdoul Karim Baguian dit Lota, Hervé Ouattara, Mamadou Drabo et Marcel Tankoano étaient à la barre. En plus de la grande foule qui a débordé jusque dans la cour et sur les rues avoisinantes, quatre autres faits d’importance auront marqué ce procès historique pour un évènement qui fera date dans l’histoire du pays : les prévenus qui sont restés droit dans leurs bottes en imputant tous les problèmes du pays à la gouvernance de Roch Marc Christian Kaboré ; le réquisitoire excessif du ministère public qui a balbutié son droit et qui a eu du mal à prouver la culpabilité des accusés ; la défense en ligne hermétique et rigoureuse de la partie civile et un tribunal serein et inflexible à l’audience ! Résumé des faits.
D’entrée disons que si le procès du 15 décembre s’est tenu sous les projecteurs de tous les médias, deux jours avant, le 13 décembre 2021, a eu lieu en catimini un autre procès de trois jeunes arrêtés dans le cadre de la même manifestation du 27 novembre 2021. Fautes de preuves ils ont tous été relaxés à la sauvette !
DES MANIFESTANTS JUGÉS ET LIBÉRÉS À LA SAUVETTE
Haut moment de courage et d’affirmation de conviction ; d’expression du droit et de plaidoiries incisives, aucune des parties ne voulant s’en laisser conter, le procès des « organisateurs de la marche du 27 novembre » a répondu à toutes les attentes mettant à nu son caractère purement politique dans un environnement de prise de conscience d’un peuple qui refuse désormais de se laisser conduire à l’abattoir. De la phase d’instruction à l’audience appuyée par des confrontations avec les dépositions devant le Procureur ou la Police, à celle des réquisitions chacun y est allé de ses convictions dans un parfait jeu de rôles qui a été à la hauteur des enjeux. Néanmoins, le simple rappel fréquent par le Parquet de ce jeu de rôles laissait bien percevoir que son cœur n’y était pas du tout, au point de céder par moment par ses propres ressentiments contre des accusés et contre le public. Quant aux enjeux du procès, ils se sont en définitive déportés du sort des prévenus pour se porter sur la Nation toute entière du fait du Parquet qui réclamera des sanctions exemplaires pour exorciser le pays de l’incivisme et du fait de la défense pour laquelle en plus de la non constitution des infractions et de la relaxe qui devrait en découler, demandera une sorte de devoir de reconnaissance de la Nation envers ces jeunes dont l’action a obligé le pouvoir à des décisions très fortes qui ouvrent de nouvelles perspectives au pays.
UN TRIBUNAL SEREIN
Il faut le dire, l’instruction à l’audience avec la relation des faits, les propos sans équivoques des prévenus tant sur leurs responsabilités que sur leurs engagements politiques et citoyens, les passes d’armes entre avocats, les sautes d’humeur du Parquet, la défense des prévenus sur le qui-vive et dans l’offensive, un public qui par moments n’a pas su et pu contenir ses émotions frôlant l’expulsion plus d’une fois, a été tenu de main de maître par le Président de Tribunal. Au sortir de cette phase, le sentiment général qui transparaissait était clairement que l’accusation n’était pas parvenue à ses fins, notamment prouver que les accusés avaient outrepassés une interdiction de manifestation, qu’ils avaient matériellement organisé la marche qui a foirée, qu’ils étaient responsables des casses et qu’ils avaient ainsi violé la loi et devaient être condamnés.
LE PARQUET S’EN MÊLE LES PINCEAUX
La tâche a été si ardue et laborieuse pour elle qu’elle a été obligée d’invoquer le non-respect des délais à l’heure près (68 heures dira-t-elle au lieu des 72 heures requis) pour expliquer que la mairie avait le droit de ne pas faire son travail, celui de recevoir la demande de manifestation quitte à notifier par la suite aux organisateurs par courrier avec accusé de réception, les observations qu’elle avait à faire. Pour le Parquet le refus de la mairie de recevoir la demande est synonyme d’interdiction que d’ailleurs des communiqués largement diffusés dans la presse venaient confirmer. Pour lui les accusés ne pouvaient pas prétendre ne pas avoir entendu ou lu ces messages d’interdiction et avaient donc décidé de les outrepasser. Pour démontrer que les accusés avaient effectivement organisé la manifestation il invoquera la tenue de la conférence du 25 et la présence sur les lieux de la manifestation de certains d’entre eux. Mais sentant la faiblesse de sa posture sur l’interdiction formelle de la marche et sa notification aux organisateurs, elle s’est perdue dans une rhétorique alambiquée sur les notions de manifestations interdites et de manifestations illicites pour assener que la manifestation du 27 novembre était illicite et par conséquent interdite.
Pour ces faits elle a requis des peines d’emprisonnement ferme de 18 mois pour Colonel, Hervé et Drabo, 24 mois pour Lota et 12 mois pour Marcel avec pour chacun une amende de 1 million de FCFA. De notre point de vue ces différences de traitements sont dus au fait que Marcel n’a pas été sur les lieux de la manifestation et a déclaré n’avoir pas demandé la démission du Président du Faso. Quant à Lota c’est son altercation avec le Parquet qui lui vaut la plus forte des peines requises.
DES RÉQUISITIONS HORS DES NORMES
A tous les points de vues, ce réquisitoire pour des prévenus qui n’ont jamais été condamnés pour de tels accusations est pour le moins très sévère, surtout au regard du contexte. Le parquet ne s’en cache d’ailleurs pas puisqu’il a demandé des sanctions exemplaires pour endiguer « le paradoxe burkinabè », celui de dénoncer la perte de l’autorité de l’Etat et d’être enclin dans le même temps à l’incivisme.
Mal lui en a pris car la défense par Me Prosper Farama, le prenant au mot lui fera remarquer que comme le dit l’adage « le poisson pourrit toujours par la tête » et qu’on n’a jamais vu un poisson pourrir par la queue. Alors si exemple il y a à donner ça devrait venir d’en haut et ce n’est pas un fait du hasard si partout dans le pays on dénonce la mal gouvernance et la corruption à ciel ouvert. Le drame d’Inata dira-t-il en substance est une conséquence directe de cet incivisme au sommet.
ET L’INSURRECTION DE 2014?
Il faut dire que le Parquet a été très mal inspiré sur cette affaire de « donner l’exemple » puisque Me Farama enfoncera le clou en lui faisant remarquer en plus qu’il y a eu dans ce pays en 2014, une insurrection qui s’était accompagnée de violences et de dégradations de biens sans communes mesures et que le Parquet jusqu’à ce jour n’avait pas daigné lever le plus petit doigt. Alors qu’il ne vienne pas aujourd’hui demander au Tribunal de frapper sans discernement pour donner un exemple qui n’a lieu d’être. Un retour de pédale violent qui se passe de commentaire.
Après avoir battu en brèches les arguments du parquet sur l’interdiction de la marche, puisque les organisateurs n’en ont pas reçu notification comme le stipule la loi, et pour répondre à ses développements sur les notions de manifestation interdite et de manifestation illicite, Me Farama lui fera observer en français facile que lorsqu’on dit « X ou Y » c’est que « X » et « Y » sont différents ! Donc manifestation interdite et manifestation illicite ne veulent pas dire la même chose comme il l’a soutenu. Or les prévenus sont poursuivis pour manifestation interdite et non pour manifestation illicite, ce qui de facto fait tomber l’acte de poursuite, puisque le chef d’inculpation ne peut pas changer en cours d’audience. Cette tentative de pirouette pour requalifier l’accusation à l’audience s’explique par le fait qu’il est pratiquement acquis que les organisateurs n’ont pas été dûment informé que la manifestation du 27 était interdite. Même la présence des forces de l’ordre sur les lieux ne peut pas signifier interdiction puisque d’ailleurs celles-ci ont pactisé avec les manifestants, entonnant l’hymne national avec eux. Quant aux débordements qui sont intervenus ils sont à mettre à l’actif des kogolwéogos dont l’irruption sur les lieux a entrainé une surchauffe des esprits et un désordre indescriptible, alors que tout se passait bien. Sur cette question de la présence des kogolwéogos, l’Agence Judicaire de l’Etat qui était partie au procès, rejettera qu’elle a été du fait de l’Etat.
Pour ce qui est de l’organisation de la marche, les avocats des prévenus ont fait valoir qu’une conférence de presse ne peut pas être considérée comme un acte d’organisation matérielle car étant juste destinée à exprimer des opinions et à informer l’opinion publique de celle-ci. En effet annoncer qu’on veut la démission du président du Faso et qu’on projette une marche pour exiger cela ne peut pas être assimilée à l’organisation de cette marche ! Une évidence que le Parquet n’a pas réussi à prendre à défaut puisque n’ayant pas apporté la moindre preuve que les prévenus ont été actifs dans l’organisation de la marche. Donc ce chef d’inculpation tombe de lui-même. Il en est de même de la responsabilité des « organisateurs » dans les casses car la loi dit que celle-ci n’est engagée que lorsque pendant la manifestation les organisateurs sont informés des débordements et ne lèvent pas la manifestation. Le Parquet n’a pas démontré que les « organisateurs » dont d’ailleurs certains n’ont même pas pu atteindre les lieux de la manifestation ont été informé des casses et n’ont rien en retour.
NE LAISSEZ PAS DES GENS MANGER LEUR PIMENT DANS VOTRE BOUCHE.
Au total, fera remarquera Me Kéré qui clôturera les plaidoiries de la défense, aucun des chefs d’inculpation ne résiste à l’analyse et le tribunal ne peut qu’en tirer la seule conséquence de droit : la relaxe pure et simple des prévenus dont d’ailleurs nul ne peut mettre en doute l’honorabilité et le sens des responsabilités et donc les confondre à des casseurs. Il a rappelé au Tribunal que le Chef de l’Etat lui-même avait dit comprendre la colère des populations suite au drame d’Inata et que cette marche n’était qu’une des manifestations de cette légitime colère. Ce faisant il l’a supplié de ne pas laisser des gens « manger leur piment » dans sa bouche ! Ces jeunes sont plutôt à féliciter et à remercier car grâce à leur courage et à leur engagement on a un nouveau Premier ministre et une nouvelle équipe gouvernementale. Pour lui et Me Farama le pouvoir se trompe d’ennemis en ciblant les osc. Les seuls ennemis du peuple burkinabè actuellement feront-ils ressortir en filigrane, ce sont les terroristes et ceux qui détournent et pillent ses maigres ressources et non ceux qui les dénoncent et soutiennent nos Fds. A preuve le lanceur d’alerte Naïm Touré a écopé de 2 mois d’emprisonnement ferme qu’il a purgé pour avoir fait état de dysfonctionnements au sein de l’armée dont il fallait craindre les conséquences ; le drame d’Inata est la preuve manifeste qu’il avait raison et qu’au lieu de l’enfermer on aurait dû l’écouter.
INFRACTIONS NON CONSTITUÉES = RELAXE
Le tribunal a mis le délibéré au 22 décembre prochain. Gageons que les nouvelles seront bonnes pour les prévenus et leurs camarades pour ne pas dire pour tout le peuple burkinabè car il y va de la paix sociale, mais aussi du respect des libertés et du droit dans ce pays.
En rappelle, à l’appel d’organisations de la société civile dont le Mouvement Sauvons le Burkina, le Mouvement Populaire Sauvons le Burkina, la CPL, … une tentative de marche le 27 novembre 2021 pour soutenir les FDS et réclamer la démission du Président Roch Marc Christian Kaboré qui a été fortement réprimée, a dégénérée entrainant des casses et de nombreuses arrestations parmi lesquelles celles des leaders dont nous relatons le procès. A l’avant-veille de cette manifestation qui s’annonçait comme un tsunami politique, le président du Faso avait été obligé d’intervenir très tard dans la nuit pour prendre des mesures fortes pour tenter d’endiguer ce que lui-même qualifiera de colère légitime.
Pour conclure nous reprenons à notre compte le slogan des partisans des leaders arrêtés : aujourd’hui ce sont eux, demain ça peut être nous !
Issaka LINGANI