L’armée et des milices pro-gouvernementales ont riposté en procédant à des exécutions sommaires et à des disparitions forcées.
Des groupes islamistes armés, des membres des forces de sécurité gouvernementales et des milices multiplient les abus à l’encontre des civils au Burkina Faso alors que le conflit s’intensifie et se répand dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement du Burkina Faso, qui est arrivé au pouvoir par un coup d’État en janvier 2022, devrait mieux protéger les civils contre les attaques et s’assurer que les forces gouvernementales respectent les droits humains.
« Les groupes islamistes armés démontrent jour après jour leur profond mépris pour la vie et les moyens de subsistance des civils », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour le Sahel à Human Rights Watch. « Les forces gouvernementales et les milices alliées devraient respecter scrupuleusement le droit international des droits humains et le droit international humanitaire, et s’abstenir de tuer au nom de la sécurité. »
Du 7 au 21 avril 2022 à Ouagadougou, la capitale, ainsi qu’à Kaya, Human Rights Watch a interrogé 83 survivants et témoins d’incidents survenus entre septembre 2021 et avril 2022 dans les régions de la Boucle du Mouhoun, de Cascades, du Centre-Nord, de l’Est, du Nord, du Sahel et du Sud-Ouest au Burkina Faso. Human Rights Watch a également interrogé des professionnels de santé, des analystes des questions de sécurité, des responsables gouvernementaux, des diplomates étrangers, des représentants des Nations Unies et des travailleurs humanitaires.
Des villageois ont déclaré que des combattants islamistes lourdement armés avaient tué des civils lors d’attaques, et avaient posé des engins *explosifs *improvisés (EEI) mortels. Dans des dizaines de cas, des combattants ont violé et maltraité des femmes et des filles qui étaient sorties pour aller chercher du bois, qui se rendaient au marché ou en revenaient, ou qui fuyaient les violences.
Les combattants ont également incendié des villages, réquisitionné des ambulances et pillé des centres de santé, détruit des infrastructures essentielles (eau, télécommunications et électricité) et se sont livrés à des pillages à grande échelle. Plusieurs villageois ont déclaré avoir vu de nombreux enfants soldats, dont certains n’avaient pas plus de 12 ans, dans les rangs des islamistes armés.
Un habitant d’Ankouna a décrit ainsi les conséquences d’une de ces attaques par des islamistes armés : « Quand je suis revenu le lendemain, le village était encore fumant. [Il y avait] les corps de six personnes, dont mon frère, abattu en essayant de sauver un enfant à 10 mètres de son magasin. J’ai vu cinq personnes, dont un homme de 70 ans, mortes dans une maison. Ils avaient reçu des balles dans le dos ou dans la tête. »
D’autres villageois ont déclaré que les forces de sécurité gouvernementales et les milices pro-gouvernementales, appelées Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), avaient procédé à des exécutions illégaux et à des disparitions forcées de dizaines de civils et de combattants islamistes présumés, principalement dans les régions de l’est et du sud du Burkina Faso.
Toutes les parties au conflit armé sont tenues de respecter le droit international humanitaire, notamment l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit coutumier de la guerre, qui requiert un traitement humain des combattants capturés et exige que les exécutions sommaires, les viols et les disparitions forcées fassent l’objet de poursuites en tant que crimes de guerre.
Le gouvernement du Burkina Faso devrait abroger la clause d’immunité figurant dans le statut des Forces spéciales (FS), une unité antiterroriste créée en 2021 ; cette clause accorde aux membres des FS l’immunité pour toute action entreprise « au cours de leurs opérations ». En coordination avec les Nations Unies et les agences d’aide, le gouvernement devrait accroître le soutien médical, psychosocial et de santé mentale aux victimes d’abus, notamment pour les violences sexuelles et sexistes.
« Il y a eu très peu d’enquêtes, et encore moins de poursuites, pour les atrocités qui ont ponctué le conflit au Burkina Faso », a déclaré Corinne Dufka. « Le gouvernement devrait veiller à ce que des prévôts chargés des droits des détenus et de la discipline des soldats soient présents lors de toutes les opérations militaires, et devrait adopter des mesures afin d’assurer que les suspects soient jugés lors de procès équitables devant des tribunaux civils et militaires. »
Informations détaillées sur les attaques
Abus commis par des groupes islamistes armés
Plusieurs groupes islamistes armés, alliés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ainsi qu’à l’État islamique dans le Grand Sahara (EISG), sont impliqués dans de graves exactions.
Depuis fin 2021, ces groupes armés ont multiplié leurs attaques contre les forces pro-gouvernementales, notamment dans et autour des villes d’Ankouna, Arbinda, Dablo, Foubé, Inata, Namsiguia, Namssiguima, Pissila et Tougouri, où de nombreuses personnes fuyant les violences dans les villages environnants s’étaient réfugiées en 2019 et 2020.
Selon des analystes des questions de sécurité, ces attaques semblent avoir été planifiées pour provoquer un déplacement massif de populations dans des villes perçues comme étant favorables au gouvernement, afin de consolider le contrôle des groupes armés depuis leurs bastions du nord du Burkina Faso jusqu’aux régions centrales.
Des travailleurs humanitaires ont fait part de leur inquiétude face à la détérioration rapide et dramatique de la situation. L’un d’eux a déclaré : « La vie civile est étouffée par le minage des routes, le blocage des villages, la fermeture des marchés et le sabotage des points d’eau, des infrastructures de télécommunication et d’électricité. »
Les groupes islamistes armés ont concentré leurs efforts de recrutement sur les Peuls nomades, en exploitant les griefs des communautés vis-à-vis de la pauvreté ou de la corruption des services publics. Ces griefs ont attisé les tensions avec d’autres communautés essentiellement agraires, notamment les Foulse, les Mossi, les Dogon et les Gourmantche, devenus les cibles de la plupart des attaques islamistes armées.
Les villageois ont décrit des combattants vêtus de tenues de camouflage militaires ou de tuniques traditionnelles appelées boubous, avec des gilets tactiques, des turbans couvrant leur visage et des bottes de type militaire. Ils utilisaient des motos, des tricycles motorisés et des pick-up, souvent drapés de drapeaux blancs, noirs ou rouges avec des inscriptions en arabe, et étaient armés de fusils d’assaut AK-47, de mitrailleuses PKM-12, de pistolets et de lance-roquettes. Les combattants parlaient en langue peule, en fulfulde et, dans une moindre mesure, en gourmanchéma, en arabe et en mooré.
Meurtres et exécutions sommaires de civils
Human Rights Watch a documenté le meurtre par des groupes islamistes armés de 67 civils lors d’attaques contre des villages, des fermes et des mines d’or artisanales.
Fin mars, dans la région Centre-Nord, des islamistes armés ont exécuté sommairement trois femmes qui fuyaient une attaque. Trois témoins des meurtres ont estimé que les victimes, toutes âgées de plus de 50 ans, avaient été visées parce qu’elles avaient reconnu le commandant du groupe armé. Un témoin a ainsi déclaré :
Notre convoi de 40 femmes sur des charrettes à ânes a soudainement été encerclé par plus de 60 terroristes. Ils nous ont gardées à cet endroit pendant des heures, nous ont demandé si nos maris étaient des VDP, nous ont sermonnées sur la manière d’être de bonnes musulmanes et nous ont dit que cette terre était désormais la leur. Ils nous ont volé nos téléphones, nos réserves de nourriture, notre argent, nos vêtements, et ont brûlé ce qu’ils ne voulaient pas.
Le commandant a demandé à mon amie si elle le reconnaissait. Elle a répondu honnêtement : « Oui, je vous connais, vous et votre père. Vous avez tué mon mari. » Il lui a ordonné de monter dans sa charrette et l’a exécutée. Nous en avons eu le souffle coupé. Il a frappé l’âne et la charrette est partie avec la femme dedans. Puis il a exécuté sur place deux autres femmes d’une soixantaine d’années, qui ont également déclaré l’avoir reconnu.
Des villageois d’Ankouna ont déclaré que des islamistes armés avaient tué lors d’une attaque le 5 janvier 14 civils, dont cinq hommes exécutés dans une maison et au moins deux enfants. Un commerçant de 39 ans a déclaré :
J’étais dans mon magasin quand, vers 16 heures, des dizaines d’attaquants ont fait irruption dans la ville à bord de motos et de pick-up. Un terroriste a sauté à terre et tiré sur le marché en marchant en demi-cercle. Un autre nous a tiré dessus avec une arme montée sur un pick-up. Ils sont restés pendant trois heures à crier « Allahu akbar », à brûler le village et pillant les animaux et les étals du marché.
Un habitant a déclaré : « Il y avait 30 VDP [membres des Volontaires pour la défense de la patrie] dans le village, mais seuls des civils sont morts dans cette attaque. »
Des villageois ont déclaré que des islamistes armés avaient tué neuf civils lors d’une attaque à Namsiguia, le 15 janvier. « Dès 6h30 du matin, ils ont envahi la ville sur trois axes, en tirant à tout va et en forçant l’ouverture des magasins pour les piller, avant de brûler ce qui restait, y compris une ambulance, une pompe à eau et des tours de télécommunication, » a déclaré un témoin.
Un autre témoin, qui a aidé à ramasser les morts, a déclaré : « J’ai trouvé des corps dans la rue, et plusieurs femmes tuées près du point d’eau. La plus âgée avait 75 ans et la plus jeune était une fillette de 10 ans. »
Un membre de la milice des VDP a déclaré : « Il y avait plus de 100 djihadistes sur des motos et des pick-up qui tiraient avec des mitrailleuses. Nous avons tiré quelques coups de semonce mais nous avons rapidement jeté nos armes et pris la fuite. »
Une femme de 33 ans a décrit une attaque contre le tricycle motorisé dans lequel elle et d’autres commerçants se déplaçaient à proximité du village de Nagraogo. « Sur le chemin du retour du marché, huit islamistes armés nous ont forcés à nous arrêter, » a-t-elle déclaré. « Ils parlaient par talkie-walkie avec d’autres terroristes. Ils ont emmené les deux hommes de notre groupe dans la brousse et les ont exécutés. Voilà pourquoi nos hommes ne se déplacent plus sur les routes. »
Les habitants de plusieurs villages ont déclaré que des agriculteurs avaient été contraints d’abandonner leurs terres et de fuir après que des dizaines de personnes eurent été tuées dans leurs fermes ou pendant qu’elles faisaient paître leurs animaux. De nombreux agriculteurs ont déclaré qu’ils ne pouvaient plus travailler en sécurité dans leurs fermes depuis deux ou trois ans. Un homme de la province de Bam a fait état de 16 agriculteurs ou éleveurs tués depuis 2021 : « Leur stratégie consiste à nous isoler et à nous affamer, » a-t-il expliqué.
Une infirmière d’une ville du Centre-Nord a déclaré : « Depuis 2020, j’ai traité au moins 12 hommes blessés par balles alors qu’ils travaillaient leurs terres et enregistré 16 hommes tués – 12 dans leurs champs et 4 alors qu’ils faisaient paître leurs vaches. »
Un éleveur de 53 ans a survécu à une de ces attaques, qui a tué son frère fin 2021 : Mon jeune frère et moi nous occupions de notre troupeau au sud de Dablo. Il était à 200 mètres de l’endroit où je me trouvais, quand des terroristes sont arrivés sur deux motos, en sont descendus, l’ont poussé à terre et lui ont tiré une balle dans la tête, avant de voler nos vaches. Le même jour, deux autres bergers ont été tués de cette façon.
Des sources sécuritaires ont décrit deux attaques contre des sites d’exploitation artisanale de l’or. Le 10 mars, des islamistes armés ont attaqué le village de Tondobi dans la commune de Seytenga, tuant 10 personnes. Le 12 mars, ils ont attaqué la mine artisanale de Baliata, près de Dori, tuant 11 personnes. Un membre de la famille d’un responsable local chargé de la gestion du bétail, Hama Hamidou, âgé de 50 ans, a déclaré qu’il avait été enlevé puis exécuté le 18 mars par des islamistes armés alors qu’il voyageait à bord d’un taxi qui circulait entre Dori et Seytenga.
Viols et autres violences à l’encontre des femmes et des jeunes filles
Human Rights Watch a documenté plusieurs dizaines de cas de viols de femmes et de jeunes filles par des groupes islamistes armés depuis fin septembre 2021, la plupart dans la région Centre-Nord. Human Rights Watch a interrogé 14 survivantes de viols, dont beaucoup avaient été témoins du viol d’autres femmes. L’une d’entre elles a déclaré qu’au moins neuf autres femmes avaient été violées au cours du même incident. Des anciens burkinabés, ainsi que des travailleurs médicaux, ont documenté d’autres cas et partagé le contenu de plusieurs dossiers rendus anonymes qui détaillent des cas dont ils ont eu connaissance ou qu’ils ont traités. Des islamistes armés ont pris pour cible des femmes et des jeunes filles qui ramassaient du bois de chauffage, se rendaient au marché ou en revenaient, ou fuyaient les attaques contre leurs villages.
Des femmes ont déclaré que les assaillants essayaient de leur soutirer des informations sur les forces gouvernementales et les milices et leur demandaient de transmettre des ultimatums à leurs villages pour que ces forces quittent la région. Les agresseurs exigeaient souvent que les femmes démontrent leur connaissance du Coran.
Les leaders communautaires ont déclaré que la multiplication des meurtres d’hommes travaillant dans leurs champs ou allant au marché avaient poussé de plus en plus de femmes à assumer ces rôles, les exposant à des risques accrus. « Si c’est un homme qui tombe sur eux, vous savez où il finira, » a déclaré un villageois. « À cause de cela, nos femmes sont obligées de faire le travail que nous voudrions faire. » Un travailleur humanitaire a déclaré : « Les femmes sont obligées de prendre des risques terribles pour s’occuper de leur famille. »
Une infirmière d’un village près de Dablo a déclaré s’être occupée de plus de 55 femmes violées par des islamistes armés entre septembre et décembre 2021. « Les femmes venaient de 11 villages différents, » a-t-elle déclaré. « Les terroristes ont attaqué les musulmanes, les chrétiennes et les animistes sans faire de distinction. Elles étaient en pleurs – elles n’arrivaient plus à manger ou à dormir, elles avaient honte et n’osaient pas dire à leur famille ce qui s’était passé. »
Une infirmière d’une autre région a déclaré avoir soigné sept femmes dans le même laps de temps : « L’une était une jeune fille de 16 ans, et une autre, une chrétienne de 40 ans qui m’a dit que ses agresseurs lui avaient arraché sa croix avant de la traîner dans la brousse. » Un ancien du village de Namissiguima a déclaré que 10 femmes de trois villages environnants qui avaient été violées lui avaient dit qu’elles n’avaient pas cherché à se faire soigner.
Une femme a décrit ce qui est arrivé à une jeune fille membre de sa famille et âgée de 17 ans : Nous étions sur cinq charrettes à ânes pour aller ramasser du bois quand la fille de la dernière charrette a crié – elle était tombée entre les mains des djihadistes. Elle était légèrement à la traîne, car son âne était jeune et plus lent que le nôtre. Je me suis précipitée pour la sauver, mais un agresseur a pointé son arme sur moi en disant : « Si tu tiens à ta vie, va-t’en. » Nous nous sommes précipités pour avertir nos hommes, et quatre heures plus tard, ils ont retrouvée la fille alors qu’elle sortait à pied de la brousse. Elle saignait et elle était tuméfiée ; ils l’avaient violée avec brutalité.
Une femme de 35 ans, l’une des quatre personnes violées en novembre 2021 alors qu’elle était sortie pour aller chercher du bois, a déclaré : Nous étions sur des charrettes tirées par des ânes, à sept kilomètres de la ville, lorsque les assaillants nous ont capturés et interrogés sur la présence de soldats et de PDV dans le village. Ils nous ont demandé si nous étions musulmanes, et nous ont ordonné de réciter la Shahada, puis chacun d’entre eux a traîné la femme qu’ils voulaient dans la brousse en nous couvrant le visage avec un bout de tissu. Mon violeur m’a dit : « Dis à ton homme de déposer son arme ; dis-lui que nous ne serons jamais vaincus. »
Des groupes armés islamistes ont enlevé et violé 10 femmes à la mi-mars alors qu’elles fuyaient vers Kaya, la capitale régionale du Centre-Nord.
L’une d’entre elles a déclaré : Après l’attaque, les hommes ont fui à pied dans la brousse, tandis que nous, les femmes, avec nos enfants et les personnes âgées, sommes montées sur une vingtaine de charrettes à ânes pour prendre la route avec nos animaux et les quelques effets que nous avons réussi à prendre.
Vers 18 heures, un groupe de 100 djihadistes est sorti de la brousse. Ils étaient lourdement armés, certains avec des mitrailleuses, on aurait dit une armée. Ils nous ont battues, nous ont volé nos biens et ont forcé 10 d’entre nous à les suivre. Les mères des plus jeunes femmes ont supplié et pleuré en disant : « Laissez-les ! Lisez-vous le Coran ? Vous ne pouvez pas faire ça ! » Les agresseurs nous ont emmenées dans la brousse. Ils disaient qu’ils allaient nous emmener loin de là et nous marier. Plus tard, leur commandant est venu nous sauver. Il semblait furieux contre eux et leur a dit : « Laissez ces gens, vous avez déjà fait assez de mal comme ça.»
Une jeune femme de 25 ans a décrit comment elle avait été violée fin 2021 après avoir été enlevée à son domicile : Mon mari n’était pas à la maison cette nuit-là. Deux djihadistes ont pointé leurs armes sur moi et nous ont forcés, moi et mon enfant, à monter sur une moto, entre eux, pendant trois heures, jusqu’à leur base.
Ils m’ont interrogée sur l’endroit où se trouvaient les soldats et l’infirmière locale. J’ai reconnu l’un d’entre eux, à qui j’avais l’habitude de vendre sur le marché. Je me suis débattue si fort qu’ils ont dû s’y mettre à plusieurs pour me tenir. … Un djihadiste tenait mon bébé pendant qu’un autre me violait. Ils m’ont dit de dire aux autres d’abandonner le village, sinon ils nous tueraient tous.
De nombreuses femmes ont déclaré que les islamistes armés les avaient fouettées pendant l’agression sexuelle, généralement dans le dos avec des cordes en caoutchouc. Plusieurs d’entre elles ont déclaré que les coups de fouet avaient provoqué des zébrures et des saignements.
Une femme de 36 ans qui a été battue et violée avec deux autres personnes alors qu’elle rentrait du marché à Barsalogho a déclaré : « J’ai reçu 22 coups de fouet avec une corde électrique, tandis que mes amies ont été frappées 17 fois. Ils ont dit que si nous pleurions, ils recommenceraient le décompte. »
Une femme de 37 ans, qui a été battue avec quatre autres personnes avant d’être violée, a déclaré : « Ils nous ont donné l’ordre de descendre de la charrette à âne et de nous asseoir dans la brousse, puis ils nous ont frappées 25 fois chacune. Ils ont dit que nous étions de fausses musulmanes et nous ont demandé d’appeler nos maris VDP pour nous sauver. Plus tard, un agresseur m’a emmené derrière un arbre et a fait ce qu’il voulait avec moi. »
Les villageois ont déclaré que les femmes âgées et les mères qui allaitaient étaient généralement épargnées par les agressions sexuelles, mais qu’elles étaient souvent battues. Une chrétienne de 30 ans a déclaré que plus de 40 femmes avaient été battues lors d’une attaque menée fin 2021 dans un village près de Bourzanga :
Pendant l’attaque, les assaillants nous ont toutes rassemblées dans une maison, en nous criant de leur indiquer où se trouvaient nos hommes et en disant « Pourquoi êtes-vous encore là ? Nous vous avons dit de partir ! » L’un d’eux m’a ordonné d’enlever mon crucifix, et j’ai refusé en disant que même si la mort m’attendait, je n’abandonnerais pas ma foi. Il l’a arraché de ma poitrine et nous a fouettés et battus, moi et les autres, avec des branches.
Une femme a déclaré qu’alors qu’elle se rendait à Kaya fin octobre, des islamistes armés l’avaient sévèrement battue, ainsi qu’une autre femme et neuf adolescentes : Nous emmenions nos filles à l’école à Kaya. Ils ont volé les frais de scolarité et nous ont retenues pendant des heures en nous posant des questions sur les forces gouvernementales. Ils ont armé leurs fusils pour nous terrifier et ont essayé d’emmener les filles, mais nous nous sommes battues avec eux. C’est alors qu’ils nous ont donné des coups de câble. Les filles ont été fouettées 17 fois et les femmes plus âgées, 20 fois. Mon dos saignait à cause des coups.
Utilisation d’enfants soldats.
De nombreux villageois ont décrit avoir vu des enfants qu’ils estimaient âgés d’à peine 12 ans, dont beaucoup étaient armés de fusils d’assaut, dans les rangs des islamistes armés. Ils ont été vus lors d’assauts sur les villes de Namissiguima, Namsiguia, Foube, Rofenga, Pensa, Dablo, et dans plusieurs zones de la région de l’Est, ainsi que lors d’attaques sur des convois de civils en fuite. Toute utilisation par les forces armées d’enfants de moins de 18 ans est une violation du droit international et peut constituer un crime de guerre.
La vie civile est étouffée par le minage routes, le blocage villages, la fermeture des marchés et le sabotage points d’eau, des infrastructures télécommunication et d’électricité. Une femme qui a été témoin d’une attaque dans la région Centre-Nord à la fin de 2021 a déclaré : « Je me suis recroquevillée avec mon bébé pendant que les assaillants, dont la moitié semblait être des enfants, tiraient sur la zone du marché. Certains d’entre eux étaient si petits que leurs armes traînaient sur le sol. L’un d’eux avait des chaînes de munitions qui lui lestaient le cou. »
Un témoin de l’attaque de mars sur Namissiguima a déclaré : « De l’endroit où je me cachais, j’ai vu plus d’une centaine d’attaquants, dont une vingtaine d’enfants – âgés de 14, 15, 16 ans, beaucoup étaient armés. » Une survivante de viol a déclaré : « Pendant que le terroriste le plus âgé me traînait, les enfants gardaient la route. »
Un témoin a décrit l’attaque du 26 novembre à Dablo : « Lors des précédentes attaques, il n’y avait que quelques enfants, mais en novembre, près de la moitié du groupe de 40 personnes étaient des adolescents. J’en ai vu certains tirer comme des fous dans tout le village. » Un homme qui avait été enlevé et retenu pendant plusieurs jours en 2021 a déclaré : « Sur la douzaine de terroristes qui m’ont capturé, quatre étaient des enfants. Je redoutais ce qu’ils pouvaient faire – les enfants ne mesurent pas la valeur de la vie comme les adultes. »
De nombreux enfants soldats ont été observés en train de piller, notamment le bétail, ou de voler les civils qui fuyaient les attaques. « Ils avaient pour la plupart 14 ou 15 ans environ, et avaient apporté des cordes pour emporter nos animaux, » a déclaré un témoin. Une femme qui se trouvait dans un convoi de civils fuyant une attaque en mars dans le Centre-Nord a déclaré : « Des dizaines de djihadistes, dont de nombreux enfants de 13 à 15 ans, sont sortis de la brousse pour nous interroger et nous voler tous nos biens. Trois enfants ont regroupé les animaux, ils étaient tous armés. »
Plusieurs personnes ont dit avoir vu des enfants soldats mettre le feu à des maisons et des étals de marché. « J’ai vu plus de 40 djihadistes, » a déclaré un témoin d’une attaque menée en 2022 à Namissiguima. « Pendant que les hommes tiraient en l’air, un autre groupe, parmi eux des enfants, mettait le feu à la maison voisine. J’ai appelé pour qu’on apporte de l’eau, car j’entendais des cris à l’intérieur. »
Attaques aux EEI sur des routes et bombardements de villages
Philippe Renard, un représentant du Service d’action contre les mines de l’ONU (UNMAS), a déclaré à Human Rights Watch que des engins explosifs improvisés (EEI, ou IED en anglais) avaient tué 73 civils et en avaient blessé 36 depuis 2021, la plupart dans les régions de la Boucle du Mouhoun, du Centre-Nord, de l’Est et du Nord.
Des travailleurs humanitaires ont déclaré que ces armes, dont l’utilisation est souvent illégale car indiscriminée, isolent les communautés et sapent la capacité des groupes à fournir aide et services essentiels aux populations vulnérables. « Les routes que nous empruntions encore il y a quelques mois sont désormais jonchées de carcasses de véhicules calcinés, » a déclaré un travailleur humanitaire. « Chaque fois que nous allons livrer de l’aide, nous sommes terrifiés à l’idée de sauter sur une mine, » a déclaré un autre.
Des civils ont été tués ou blessés par des engins explosifs improvisés alors qu’ils se trouvaient sur des charrettes à ânes, des bicyclettes, des tricycles motorisés, des motocyclettes, des bus et d’autres véhicules, alors qu’ils allaient chercher du bois de chauffage ou de l’eau, qu’ils se rendaient sur les marchés locaux et en revenaient, ou qu’ils fuyaient lors d’attaques contre leurs villages.
Une femme qui a été blessée par l’explosion d’une bombe artisanale dans le Centre-Nord en 2021 a déclaré :
Ma famille fuyait à bord d’un bus après que notre village, Kougri-Koulga, a été attaqué. Alors que nous approchions d’un pont près du village de Boulga, il y a eu une énorme explosion, suivie d’une autre et d’une boule de feu… le bus s’est retourné. Nous avons lutté pour nous échapper. Je me suis évanouie en voyant tant de sang et les morts autour de nous – 11 personnes en tout, dont une femme enceinte et un bébé. Un autre passager m’a emmenée sous un arbre, et quelques heures plus tard, nous avons marché jusqu’à un endroit sûr.
Les 6 et 7 mars, plusieurs obus de mortier ont frappé Namsiguia, dans la province de Bam. « Les djihadistes ont tiré des obus, dont l’un s’est écrasé sur la maison d’une femme de 60 ans qui a été tuée, » a déclaré un villageois. « Aucun soldat n’est basé ici, et nos PDV n’ont pas de base spécifique à cibler. »
« Les djihadistes considèrent que tous ceux qui vivent ici sont leurs ennemis, » a déclaré un habitant de Bourzanga, où un civil a été tué par un tir de mortier en mars. Human Rights Watch a confirmé l’existence de telles armes en examinant des photos de douilles d’obus collectées après les deux attaques.
Pillage et destruction de biens
Les villageois ont décrit comment les groupes islamistes armés se livraient à des vagues successives de pillages, lors d’attaques contre leurs villages, contre les grandes villes où ils avaient fui pour se mettre en sécurité, et après avoir fui à nouveau, généralement vers Kaya ou Barsalogho. Les combattants ont volé des sacs de céréales, des téléphones portables, des bijoux, de l’argent, des vêtements, des charrettes pour animaux, des motos et des ustensiles de cuisine. Les commerçants ont déclaré que les attaquants avaient pillé la totalité de leurs stocks, et les infirmières ont affirmé que les islamistes armés avaient volé des médicaments et autres fournitures dans les centres de soins.
Des habitants éprouvés ont décrit l’impact de ces pertes. « Depuis ma cachette, je les ai vus regrouper mes 42 vaches, toutes les richesses de notre famille, » a déclaré un éleveur d’un village près de Dablo. Décrivant l’attaque du 5 janvier à Ankouna, un villageois a déclaré : « J’étais impuissant. Ma famille a perdu 31 vaches et 47 moutons. Ils ont volé nos tricycles motorisés et les ont utilisés pour emporter les marchandises de nos magasins. Comment pouvons-nous nous remettre de tout cela ? »
De nombreux civils, pris en embuscade sur les routes alors qu’ils fuyaient, ont déclaré que les islamistes armés avaient pris tout ce qu’ils possédaient, même leurs chaussures. Trois femmes dans un convoi de 30 charrettes à ânes fuyant vers Kaya après l’attaque de Foubé en mars ont décrit un pillage commis par des dizaines d’assaillants. « Ils ont pris le peu que nous avions – des sacs de mil, des vêtements, nos animaux, et ils ont brûlé le reste, » a déclaré l’une d’elles. « Ils ont même coupé les cordes de nos ânes et les ont chassés. Puis ils nous ont ordonné d’enlever nos chaussures, en disant que cela nous rappellerait qu’il ne fallait pas retourner dans nos villages. Nous avons marché pieds nus pendant des jours. »
Des djihadistes armés ont dépouillé de leur argent et de leurs marchandises les commerçants qui sillonnaient les routes des marchés. « J’avais collecté de l’argent auprès de plusieurs femmes pour acheter des marchandises au marché, mais sur le chemin du retour, des djihadistes nous ont attaqués et m’ont volé des oignons et des sacs de haricots que j’allais vendre, » a raconté un commerçant. « Quand je suis revenu, il ne me restait que les vêtements que je portais. »
« Ils ont même renversé l’eau que nous avions prise avec nous, en disant que désormais, la zone était à eux, » a déclaré une victime d’une attaque similaire.
Des travailleurs humanitaires ont décrit le pillage par des islamistes armés de médicaments et de fournitures dans les centres de soins, ainsi que le vol de plusieurs ambulances depuis la mi-2021. « En décembre, une ambulance transportant une femme gravement malade de Dori à Kaya a été réquisitionnée. Ils ont forcé les gens à sortir et la femme a été ramenée à Dori en charrette à âne. Plus tard, elle est morte, » a déclaré un travailleur humanitaire. Ils ont également documenté plusieurs cas où des suspects blessés ont été retirés des hôpitaux par les forces pro-gouvernementales.
Abus commis par l’armée et par les milices pro-gouvernementales
Human Rights Watch a documenté 42 des exécutions sommaires présumées et 14 disparitions forcées de civils et de combattants islamistes présumés par les forces de sécurité de l’État et les membres des Volontaires pour la défense de la patrie, qui ont parfois coordonné leurs opérations.
La majorité des victimes étaient d’origine peule. Dans plusieurs cas, les incidents documentés ont provoqué le déplacement de familles et, dans certains cas, de communautés entières. Les incidents rapportés se sont produits entre septembre 2021 et avril 2022 et méritent une enquête plus poussée.
Exécutions sommaires et disparitions forcées perpétrées par des militaires
Certains des abus signalés se sont produits dans le cadre d’opérations antiterroristes d’envergure. Quatre témoins ont déclaré que des soldats avaient arrêté une quarantaine d’hommes le 23 novembre à Djigouè, près de la frontière avec la Côte d’Ivoire, et que 18 d’entre eux avaient été retrouvés morts plusieurs kilomètres plus loin. Le 30 novembre, Maxime Koné, alors ministre de la Sécurité, a déclaré que l’armée avait « neutralisé une trentaine de terroristes » lors d’un incident survenu dans la même zone et à peu près à la même heure.
Des témoins ont fourni une liste des morts. Un homme dont le frère de 38 ans figurait parmi les victimes a déclaré : Plus de 100 soldats montés sur des pick-up et des motos ont envahi le marché [de Djigouè] tandis qu’un avion passait au-dessus de nos têtes. J’étais dans ma boutique en train de prendre le thé avec mon frère lorsque des soldats nous ont demandé nos cartes d’identité.
Nous avons obtempéré et ils sont partis. Quelques minutes plus tard, mon frère est parti voir les employés de son magasin. J’ai appris par la suite qu’un autre groupe de soldats l’avait arrêté quelques minutes après qu’il ait quitté mon magasin. Nous avons retrouvé son corps parmi les morts.
Un autre habitant a raconté : Les soldats sont partis vers 15 heures en emmenant les hommes qui avaient été arrêtés dans plusieurs taxis motorisés. Une heure plus tard environ, nous avons entendu des coups de feu. Le lendemain, après le départ des soldats, nous les avons retrouvés, morts et alignés près de l’endroit où les soldats avaient établi leur camp pour la nuit. Les morts étaient presque tous des Peuls âgés de 20 à 65 ans, ligotés, les yeux bandés avec leurs propres vêtements. Maintenant, presque tout le village a pris la fuite, par crainte à la fois de l’armée et des djihadistes.
Le 12 septembre, des soldats ont arrêté sept hommes lors d’une opération nocturne à Ouangolodougou, près de la frontière ivoirienne. Leurs corps ont été retrouvés le lendemain à environ un kilomètre de là. Les habitants ont déclaré qu’ils pensaient que l’armée était impliquée, car une vaste opération militaire avait eu lieu dans la région à peu près au même moment.
Des témoins ont déclaré qu’un père et deux de ses fils figuraient parmi les morts. Un habitant a déclaré : Vers 1 heure du matin, nous avons entendu des motos, puis des coups sur la porte. J’ai vu des soldats debout devant les portes. Ils nous ont braqué des lampes de poche dans les yeux. Ils ont ordonné aux femmes et aux enfants de se rassembler dans une pièce, ont fouillé la maison et ont ligoté Ali Diallo [52 ans] et deux de ses fils, Amadou, 23 ans, et Mahamadi, 21 ans, un étudiant à l’université qui était en visite à la maison. Ils ont également arrêté quatre autres personnes dans une maison voisine. Les familles ont supplié pour qu’on les laisse en vie… j’ai entendu un soldat dire en français : « C’est fini pour vous. »
« Nous avons entendu des coups de feu cette nuit-là, et nous avons retrouvé leurs corps – six en groupe, le septième quelques mètres plus loin, » a déclaré un autre habitant. « Ils avaient reçu des balles dans la tête ou dans le cou, et leurs mains étaient attachées avec des cordes ou avec leurs propres vêtements. La famille a déposé une plainte auprès de la gendarmerie locale mais, à notre grande surprise, ils ont également été arrêtés ! Ils ont finalement été libérés après de nombreuses pressions. Mais personne n’a enquêté sur la mort des nôtres. »
Six des 15 hommes arrêtés le 21 février par des soldats à Todiame, dans la région du Nord, ont été victimes de disparitions forcées. Un habitant a déclaré : Vers 11 heures, des soldats à bord de plus de dix pick-up et à motos ont encerclé le village en tirant en l’air. Les gens se sont enfuis dans la mosquée, et là, les soldats ont vérifié les cartes d’identité de chacun d’entre eux.
Ils ont attaché les mains et bandé les yeux de 15 personnes, dont un homme âgé, et les ont fait monter dans quelques véhicules de l’armée. Ils les ont sauvagement battus pendant qu’ils les emmenaient… Neuf d’entre eux ont été libérées quelques semaines plus tard après avoir été détenus dans les gendarmeries de Titao et Ouahigouya. Nous avons cherché les six autres – dans les commissariats de police et de gendarmerie, les bases et les prisons – mais ils sont introuvables.
Disparitions forcées et meurtres commis par la milice des VDP
Le gouvernement a autorisé la désignation des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) comme groupe d’autodéfense en 2020, lui fournissant des armes et une formation sommaire. La plupart des abus qui impliquent les VDP se sont produits dans les régions des Cascades, du Sud-Ouest ou de l’Est, en particulier dans et autour de Fada N’Gourma.
Les leaders communautaires de ces régions frontalières du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Niger et du Togo, ont déclaré qu’il existait des tensions ethniques considérables entre les Peuls, qui sont des éleveurs et sont perçus comme des soutiens des islamistes armés, et les communautés agricoles, perçues comme pro-gouvernementales et qui constituent la majorité des membres de la milice des VDP dans la région.
Les dirigeants peuls ont toujours prétendu être victimes à la fois des islamistes armés et des forces pro-gouvernementales.
De nombreux hommes peuls auraient été exécutés sommairement après avoir été détenus par des hommes que les témoins pensent être des miliciens des VDP, dont plusieurs de ces témoins connaissaient le nom.
Dans plusieurs cas, la raison de la détention, du meurtre ou de la disparition forcée de la victime n’était pas claire pour les membres de la famille. A plusieurs reprises, ils ont supposé que la milice utilisait les opérations antiterroristes comme prétexte pour régler des comptes personnels ou liés aux relations communautaires.
Trois habitants ont déclaré avoir vu les corps ligotés de huit hommes que la milice des PDV avait arrêtés deux jours plus tôt, le 17 février, à Fada N’Gourma. Un témoin a décrit la détention de quatre des huit hommes : « Nous étions rassemblés pour une distribution de nourriture lorsque des VDP en t-shirt rouge se sont approchés des hommes en disant : « Toi et toi…. venez avec nous ». Ils savaient exactement qui ils cherchaient. Ils les ont emmenés, les mains liées, sur des motos. »
Un autre témoin a déclaré : « J’ai vu huit VDP pendant cette opération, dont trois que je connais personnellement. » Selon les membres de leurs familles, quatre autres hommes ont été arrêtés ailleurs dans la ville, dont un homme qui souffrait d’un handicap physique et qui a été arrêté à son domicile.
Un homme qui, le 19 février, a assisté à l’enterrement, a déclaré : « Les corps se trouvaient derrière l’école primaire du village de Bougie, à 10 kilomètres de Fada. Ils avaient les mains liées ; ils avaient été exécutés. » Un membre d’une famille a déclaré : « Les terroristes avaient brûlé l’école quelques jours auparavant. Mais c’est difficile à comprendre – nos hommes craignent les terroristes autant que les VDP ! Nous pensons qu’il s’agit d’un règlement de comptes et que les VDP utilisent la lutte contre le terrorisme pour dissimuler leurs actes. »
Deux hommes détenus par des membres présumés de la milice des VDP le 28 mars à Dankibaroum, à cinq kilomètres de Fada N’Gourma, ont été retrouvés morts quelques jours plus tard. « Trois VDP armés d’AK-47, dont un que j’ai reconnu, ont arrêté mon cousin Boureima, qui travaillait dans un magasin, » a déclaré un habitant. « Ils l’ont menotté et plus tard, ils ont aussi arrêté le propriétaire du magasin. Nous avons retrouvé leurs corps à sept kilomètres de là – tous deux avaient reçu une balle dans la tête. »
Des membres de la milice des VDP ont raconté à Human Rights Watch trois incidents au cours desquels ils avaient exécuté des suspects peuls fin 2021 et début 2022 pour leur soutien supposé à des groupes islamistes armés. Expliquant l’un de ces incidents, un membre des VDP a déclaré : « Nous avions l’habitude de remettre les suspects aux gendarmes, mais ils les relâchaient toujours, alors nous avons décidé de régler ce problème nous-mêmes. » Un autre a déclaré : « En janvier 2022, nous avons capturé un espion peul au marché et nous l’avons gardé pendant trois jours jusqu’à ce qu’il nous parle de ses collaborateurs. Ensuite, nous nous sommes occupés de chacun d’entre eux. »
Des leaders communautaires des régions de Cascades et du Sud-Ouest ont montré à Human Rights Watch les dossiers de 10 personnes qui, au cours des derniers mois, avaient été soit victimes de disparition forcée, soit exécutées par la milice locale des VDP. Les membres des VDP sont parfois appelés « Dozos », des chasseurs traditionnels dont beaucoup ont rejoint la milice.
Un leader de la communauté peule de la région de Cascades a déclaré : Les communautés agraires rendent tous les Peuls responsables de la présence des djihadistes. Ils nous tuent, nous chassent de nos villages et pillent nos biens. Presque tous les Peuls ont fui soit vers les grandes villes, soit vers les forêts nationales protégées, qui sont des bastions djihadistes, avec leurs vaches. Dans les forêts, ils sont obligés de vivre selon les règles des terroristes, mais au moins ils ne sont pas tués.
Plusieurs villageois peuls ont décrit des membres du VDP se livrant à des comportements criminels. Un ancien peul a déclaré : À la mi-mars, mon frère et ses deux fils, âgés de 30 et 19 ans, ont été enlevés par des Dozos alors qu’ils abreuvaient leurs animaux près de Mangodara. Les Dozos ont dit qu’ils étaient des « terroristes ». Nous sommes allés voir le chef des Dozos qui a exigé 3 millions de francs CFA ($5 000 dollars) pour obtenir leur libération, mais après que nous lui ayons donné cet argent, ils ont refusé de libérer les nôtres. Nous avons tous fui après cela.
Les gendarmes enquêtent et nous ont appelés pour faire une déclaration, mais honnêtement, nous sommes terrifiés à l’idée de revenir, à cause de tous les postes de contrôle des VDP et des Dozos dans cette zone.
D’autres allégations de meurtres et de disparitions forcées impliqueraient des miliciens des VDP et des forces de sécurité gouvernementales qui travaillent de concert. Deux témoins ont décrit l’arrestation, le 27 février, d’Ali Diallo, 44 ans, un leader communautaire au niveau local, par la milice des VDP et les forces de sécurité. L’un des témoins a déclaré : « J’ai vu Ali [Diallo] au marché alors qu’il achetait des choses pour sa femme, qui venait d’accoucher à l’hôpital. Alors qu’il achetait de l’eau, il a été intercepté par deux soldats en uniforme et deux VDP, que j’ai reconnus. Ils lui ont mis un sac sur la tête, l’ont menotté et sont partis avec lui ».
Son corps a été retrouvé quatre jours plus tard. Un deuxième témoin a déclaré : « Il était sous des arbres, à quelques kilomètres du camp militaire. Il avait un sac sur la tête et son pantalon était descendu jusqu’à ses chevilles. Il avait été abattu de plusieurs balles dans le dos. » Un parent qui a assisté à l’arrestation d’Amadou Bande, 46 ans, à Fada N’Gourma le 16 mars, a déclaré : « Il était en train d’acheter un sac de riz lorsque deux VDP sont descendus de moto, l’ont menotté et l’ont chargé dans un véhicule militaire qui se trouvait juste derrière eux. Nous l’avons cherché partout. » L’endroit où se trouve Bande reste inconnu.
Attaque meurtrière de civils par des forces non identifiées.
Le 28 février, une puissante explosion a tué plus de 30 commerçants sur un marché aux animaux dans la ville de Béléhéde, dans la région du Sahel, largement contrôlée par un groupe islamiste armé. La cause de l’explosion et les responsabilités n’ont pas été identifiées. Un témoin a déclaré avoir entendu un sifflement venant du sud du village avant l’explosion, mais deux autres personnes présentes n’ont rien entendu et n’ont vu aucun hélicoptère ou avion passer au-dessus de leur tête.
Un témoin a déclaré : C’était un jour de marché très animé. L’explosion, foudroyante, a retenti au moment où les commerçants se précipitaient vers deux vaches acheminées sur le marché par un tricycle motorisé. Un nuage de poussière a recouvert le marché. Lorsqu’il s’est dissipé, j’ai vu que le conducteur, les vaches et tous ceux qui se trouvaient à proximité avaient été pulvérisés. Les gens couraient, il y avait du sang et des lambeaux d’êtres humains partout. Environ 30 personnes sont mortes sur le coup, et quelques autres plus tard.
« Nous vivons sous le joug des djihadistes et quelques-uns étaient dans le village ce jour-là, » a déclaré un habitant. « Mais la grande majorité des personnes tuées dans cet incident étaient des commerçants ordinaires, dont certains adolescents, qui travaillaient sur le marché aux bestiaux. »
Une coalition d’organisations de la société civile a signalé qu’au moins 80 hommes – tous des civils – ont été tués au cours d’opérations militaires gouvernementales les 10 et 11 avril dans des villages des communes d’Oursi et de Tin-Akoff et de leurs environs, dans la région du Sahel.