Ceci est une tribune du professeur Yoporeka Somet. Dans cette tribune, le professeur s’insurge contre la détention du président Kaboré. Lisez !
Je préfère le dire d’emblée : je ne suis ni un partisan ni un ami du Président KABORÉ. Je ne connais pas davantage l’homme, ne l’ayant rencontré (en groupe) qu’une seule fois lors d’un événement familial, donc sans aucune connotation politique. Je ne peux donc parler que de l’homme politique, dont le nom m’est connu en revanche depuis fort longtemps, au moment où, jeune étudiant à l’Université de Ouagadougou, je découvrais la scène politique dont il était déjà un des acteurs.
J’avais alors de lui l’image d’un homme plutôt réfléchi et pondéré jusqu’à ce que je l’entende réitérer, un jour de Février 2011, cette déclaration stupéfiante (faite déjà un an auparavant) selon laquelle il était « antidémocratique de ne pas modifier la Constitution » (pour permettre à Blaise Compaoré de s’offrir des mandats à vie…
Je précise que la ville de Koudougou était alors en ébullition suite à la mort suspecte d’un élève, Justin ZONGO, après une interpellation par la Police. C’est depuis cette date que j’ai retiré toute confiance et toute crédibilité à l’homme politique Roch Marc Christian KABORÉ. Et je considère, a posteriori, que sa présidence chaotique et sans perspective ni vision (qui aura ainsi facilité le retour au pouvoir d’une armée défaite et humiliée sur le front du combat contre le terrorisme) me donne raison, quant au fond…
Si je prends néanmoins sa défense aujourd’hui, pour demander sa libération immédiate, c’est d’abord pour une raison analogue à celle pour laquelle je lui avais retiré ma confiance, il y a un peu plus de 10 ans. Elle est toute simple : à l’inverse de son prédécesseur qui, après plus de trente ans aux affaires, a choisi de fuir le pays et les lourdes responsabilités qui lui incombent, de surcroît sur les épaules d’une armée étrangère, le Président KABORÉ a, quant à lui, délibérément et consciemment opté de rester sur place, malgré une tentative ratée de l’assassiner.
Il a également refusé l’appui militaire que lui proposait un de ses homologues, pour mater les militaires incapables de contenir la menace terroriste mais aptes à déstabiliser les fragiles institutions du Faso. Il aurait déclaré à cette occasion qu’il n’était pas « venu en politique pour faire couler le sang ». C’est tout à son honneur et on ne peut qu’éprouver du respect et de la considération pour une telle attitude patriotique.
Mais la raison profonde pour laquelle il faut prendre aujourd’hui sa défense se situe bien au-delà des considérations conjoncturelles ici exposées. Qu’on ait été ou non partisan de sa gouvernance désastreuse, dès lors qu’il est redevenu un simple citoyen, à la suite de sa démission (forcée) de la Présidence du Faso, il doit pouvoir jouir des mêmes droits élémentaires que tout citoyen à qui la justice n’a rien à reprocher. Et si les nouveaux dirigeants autoproclamés détiennent des preuves du contraire, alors pourquoi ne les rendent-elles pas publiques, comme d’ailleurs le fameux rapport d’INATA toujours frappé du sceau du secret ?
Pour toutes ces raisons, j’ai donc beaucoup de mal à comprendre la séquestration de l’ancien président par les militaires du MPSR. D’autant plus que chaque jour qui passe nous donne à voir, au contraire, des signes d’ouverture et de rapprochement avec son prédécesseur en fuite, et récemment condamné par la justice burkinabè à la prison à perpétuité.
Veulent-ils le ramener pour qu’il purge sa peine ? Dans ce cas, pourquoi ne pas aussi livrer le Président Roch KABORÉ à la même justice, seule habilitée à prononcer, le cas échéant, une peine privative de liberté ? Et si d’aventure son cas ne relève pas de la justice, alors, comme tout citoyen, il doit retrouver immédiatement sa pleine et entière liberté, y compris celle d’aller et venir comme bon lui semble. Ceci est, encore une fois, une question élémentaire de principe, qui s’applique à tous, même à un adversaire politique du moment…
Alors que l’on tarde à voir se réaliser la sauvegarde de l’intégrité territoriale promise par le MPSR (on observe au contraire un abandon de certaines localités jusque-là tenues par nos FDS, comme Seytenga), des signaux nombreux et inquiétants indiquent plutôt clairement une volonté rampante de restauration d’un ordre ancien caractérisé par le règne de l’arbitraire, de l’impunité et de la mal-gouvernance. La détention arbitraire, prolongée, extra-judiciaire du Président KABORÉ en est malheureusement un parmi tant d’autres… Il faut, au plus vite, que cela cesse !