5 février 2025
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Côte d’Ivoire : Le crépuscule de la politique de revanchard ?

La raison n’a pas eu raison en Côte d’Ivoire pour une réconciliation totale et un retour durable de la paix. C’est finalement ce que nous redoutions tous qui est en marche. La nature va se charger de faire son travail devant le refus et l’acharnement des hommes et leurs égos. Ce 1er août 2023, s’est éteint sur les terres de la Côte d’Ivoire, l’homme politique Henry Konan Bédié. C’est malheureux de le dire, « ça fait un de moins » et ce n’est qu’un triste constat.

Dans la bataille pour le pouvoir, et après avoir épuisé deux mandats constitutionnels consécutifs, Alassane Ouattara avait déclaré qu’il se retirera de la politique (en fait du fauteuil présidentiel qu’il occupe) à condition que ses deux adversaires politiques et historiques que sont Bédié et Gbagbo acceptaient aussi renoncer à la reconquête du pouvoir. C’était un vœu absurde et vain.

Renversé du pouvoir par la forcé en 1999 par le putschiste Robert Gueï (au passage, remarquons que le putschisme n’est pas une nouveauté dans notre sous-région, c’est notre tasse de thé), le vieux Bédié avait juré de prendre sa revanche en revenant au palais présidentiel. Jusqu’à sa disparition hier, le sphinx de Daoukro tenait à sa renaissance. Il a usé d’alliance et désobéissance mais le pouvoir lui est resté inatteignable. Du haut de ses 89 ans, HKB n’a jamais renoncé à reprendre le pouvoir là où il l’avait quitté un 24 décembre 1999, balayé par un balayeur à la kalach.

Quant à Gbagbo, il rumine les mêmes ressentiments que Bédié. Elu en 2000 après l’intermède du Gueï, Gbagbo verra son premier mandant sérieusement perturbé par un coup d’Etat précoce, à peine deux ans de pouvoir pour un opposant historique. Même raté, le coup d’Etat savamment combiné avec une rébellion va lui pourrir la vie (2002-2010). En 2011, c’est manu militari qu’il est arraché du pouvoir après les élections de 2010 dont il continue de réclamer la victoire. Après avoir séjourné dix ans à la CPI pour finalement être acquitté après une si longue et humiliante procédure judiciaire, qui plus que Gbagbo peut nourrir une revanche. C’est dire donc que Gbagbo et Bédié étaient tous des revanchards, des revanchards légitimes.

En conditionnant sa retraite politique à celle de ses deux adversaires, Alassane cherchait un prétexte pour ne jamais quitter. Et s’il ne veut pas quitter le pouvoir, c’est aussi parce qu’il est un autre revanchard. Son histoire avec la présidence ivoirienne, les péripéties qu’il a connues avant d’y arriver en fait un revanchard idéal, lui qui a été blessé au plus profond de son « ivoirité » lorsque ce pays qu’il avait tant servi lui a nié sa nationalité et consacré son inéligibilité plusieurs années durant. Cette rancune et une telle revanche, ADO la portera peut-être jusqu’à son dernier souffle.

Henri Konan Bédié, président de la République de Côte d’Ivoire, salue ses supporters, le 07 janvier 1995 à Abidjan, durant un meeting dans le cadre de sa campagne pour les élections présidentielles d’octobre 1995. (DR)

Prince sous nana Houphouët, l’illustre économiste qui a signé sur les billets de banque de la BCEAO a connu une vie de « Yangouba », exilé, humilié, raillé, avant de retrouver le palais de ses rêves. Il a fallu une rébellion déchirante et sanglante pour rabattre les cartes et lui ouvrir la voie du Palais présidentiel. Une fois installé au pouvoir, ADO a travaillé à faire regretter aussi bien Gbagbo que Bédié les misères que chacun d’eux lui a fait vivre en dépit des alliances circonstancielles qu’ils ont pu avoir par moment quand il fallait se mettre à deux pour faire face au troisième quand ce dernier était plus fort. Ainsi on a connu l’alliance Alassane-Gbagbo contre Bédié quand ce dernier était au pouvoir. Il eut Alassane-Bédié contre Gbagbo et on s’acheminait vers une alliance Gbagbo-Bédié contre Alassane comme dans un cycle infernal. En Côte d’Ivoire, nous sommes (ou nous étions) exactement dans le scénario du film « Course à la mort » où des prisonniers forcés de faire une course de tous les dangers et à haute vitesse doivent s’éliminer les uns les autres jusqu’à ce que le vainqueur soit le seul et unique survivant. Et quand un prisonnier (coureur) est mort, on met une croix sur sa photo. C’est triste, on vient d’enregistrer une croix sur le condamné Bédié et la course à la mort se poursuit avec les deux survivants.

Pourquoi n’avoir pas opté pour la voie pacifique ?

Et pourtant l’histoire aurait pu être belle entre ces trois hommes. A la mort du père de l’indépendance, Félix Houphouet Boigny, en décembre 1993, Alassane Dramane Ouattara est le fils prodige, Premier ministre de son Etat, un Chef d’Etat en devenir. Bédié (le premier fils) est président de l’Assemblée nationale et par conséquent dauphin constitutionnel. Laurent Koudou Gbagbo est l’opposant historique. Contrairement aux deux premiers qui ont été choyés, lui, syndicaliste (1970) avant d’être homme politique (1980) puis chef de file de l’opposition (1990), il avait connu à cette époque l’isolement, prison, exil, clandestinité, bref tous les maux qui caractérisaient les syndicalistes et les opposants du temps des partis uniques.

Après la disparition de Houphouët, on pouvait prédire que tous les trois allaient d’une manière ou d’une autre devenir un jour Président de ce pays qu’est la Côte d’Ivoire. Ils avaient cependant le choix de le devenir pacifiquement en attendant sagement chacun son tour ou de le devenir vaille que vaille, quoi que cela leur coûte et à leur pays. Ils ont opté pour la deuxième situation, ils le sont devenus tous, et cela a coûté cher à la Côte d’Ivoire.

L’Histoire retiendra que Bédié, Gbagbo et Alassane ont tous été Président de la République de Côte d’Ivoire mais au prix de milliers de vies d’Ivoiriens, de Burkinabè et de nombreuses autres nationalités sacrifiées dans une lagune de sang. Ce fut au prix de la Paix, de la stabilité et de la prospérité de cette Côte d’Ivoire. Oui la Côte d’Ivoire est toujours aujourd’hui un pays économiquement et financière prospère mais s’il n’y avait pas eu les coups d’Etat, les rebellions, les crises post-électorales, l’ivoirité, aujourd’hui on ne parlerait pas de la Côte d’Ivoire en termes de 3ème pont mais de 7ème voire de 12ème pont. Comme le chant scolaire « Le laboureur et ses enfants » de Jean de la Fontaine où un riche laboureur avant de mourir avait laissé à ses enfants une énigme (qui conduit au travail comme trésor), Houphouët avait lui aussi laissé une énigme à ses héritiers et successeurs politiques avant de mourir. Il avait dit « La paix ce n’est pas un mot, c’est un comportement ». Malheureusement ils ne l’ont pas compris et la nature continuera de faire son travail. Aujourd’hui on se demande déjà, c’est encore plus triste, quelle leçon ou quelle énigme le trio de vieux revanchards Bédié, 89 ans-Alassane, 81 ans-Gbagbo, 78 ans, va t-il laisser aux KKB, Soro, Blé Goudé, et autres ?

Boukari OUOBA

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