Crises politique et sécuritaire : L’Afrique, l’autre front de la guerre Russie–Ukraine

Déclenchée en février 2022, l’intervention spéciale russe en Ukraine semble devenir une guerre qui s’éternise et s’étend au-delà des frontières des deux pays. L’Afrique semble malgré elle devenir, l’un des fronts de cette guerre géostratégique entre la Russie et le bloc occidental qui s’est mobilisé pour soutenir l’Ukraine. Certains pays comme la Libye, le Soudan, la Centrafrique et globalement tout le Sahel semblent déjà être le théâtre d’une guerre par procuration entre la Russie d’une part et l’Ukraine et ses soutiens occidentaux, avec les risques d’une généralisation de guerres et autres conflits divers notamment le terrorisme dans plusieurs pays du continent.

Au départ, l’impact de cette guerre en Afrique était plus perçu sur le plan économique notamment sur les importations de vivres et produits énergétiques. Et progressivement, les enjeux géostratégiques de cette guerre ont franchi les limites de l’économique et du « soft power » (capacité des Etats à influencer les relations internationales en leur faveur). L’on assiste de plus en plus à des implications directes ou indirectes dans les conflits armés dans certains pays (Soudan et Mali par exemple). En effet, l’implication de forces militaires spéciales ou privées des deux pays dans les conflits au Soudan, au Mali et en Libye est devenue un secret de Polichinelle.

Au Soudan, la Russie et l’Ukraine s’affrontent à travers leurs soutiens militaires respectivement aux Forces de soutiens rapides (FSR) du Général Mohamed Hamdan Dogolo et à l’armée régulière dirigée par le Général Abdel Fattah Al-Burhan. Loin de leurs territoires, les deux belligérants y déploient aussi bien des troupes combattantes que des soutiens logistiques importants. Ces forces participent activement aux opérations militaires aux côtés de leurs partenaires locaux, contribuant à accentuer le conflit et à l’entretenir dans la durée.

Au Mali, l’attaque de Tinzawaten qui a fait de nombreuses pertes en vies humaines dans les rangs de l’armée malienne et des éléments russes du Groupe Wagner (aujourd’hui Africa Corps) le 26 juillet 2024, a par la suite révélé une implication des renseignements ukrainiens. Même si l’Ukraine a, par la suite, remis en cause cette implication, il n’en demeure pas moins qu’un des responsables des services de sécurité ukrainiens, Andriy Yusov, a publiquement affirmé que l’Ukraine avait facilité l’attaque contre l’armée malienne et Wagner à Tinzawaten à la frontière avec l’Algérie. Cette affaire a provoqué des brouilles diplomatiques entre Kiev et certains pays africains. Le Mali et le Niger ont décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec l’Ukraine. De même, l’ambassadeur d’Ukraine au Sénégal accusé par le gouvernement sénégalais de « soutien sans équivoque et sans nuance à l’attaque terroriste » perpétré au Mali, a été convoqué après que l’Ambassade ait relayé les déclarations d’Andriy Yusov. De son côté, la CEDEAO a, dans un communiqué affirmé sa « ferme désapprobation et sa ferme condamnation de toute ingérence extérieure dans la région ».

La guerre se déporte en Afrique

Comme on le voit, la guerre Russo-Ukrainienne se déporte progressivement en Afrique. Ce qui fait craindre des scénarios catastrophes à l’image de la Libye. En effet, la Lybie, désaxée par l’intervention des occidentaux notamment de l’OTAN, en soutien aux rebelles contre le Président Mouammar Kadhafi (assassiné en octobre 2011) et plongée depuis lors dans une interminable lutte de pouvoir entre camps rivaux, est l’illustration parfaite de l’impact de l’ingérence extérieure dans la prolongation des conflits armés en Afrique. Nourrie sans doute par les énormes richesses (notamment, pétrole et gaz) du pays et surtout par les enjeux géostratégiques depuis plusieurs décennies qui mobilisent plusieurs puissances (union Européenne, Russie, Turquie), des voisins (Egypte) et des Emirats arabes unis, cette guerre par procuration est aussi celle pour l’influence et le contrôle de bien des régions et pays du continent même au-delà. L’on peut retenir que le déclin de la Libye a été essentiellement la cause de la descente du terrorisme vers le Sahel notamment au Mali et au Niger, puis au Burkina Faso. Dans cette guerre, la Russie soutient les forces du Maréchal Khalifa Haftar qui contrôle l’Est libyen et ne désespère pas de prendre le contrôle total du pouvoir sur toute la Libye. En face, le Gouvernement d’union nationale, soutenu par le bloc occidental et les nations-unies, peine à obtenir la légitimité et les moyens de mener sa mission de restauration de l’Etat et des institutions républicaines. Et cette situation risque encore de perdurer avec des conséquences toujours désastreuses sur les pays du Sahel et bien d’autres pays du continent.

Entre guerre et offensives diplomatiques

Dans le même temps, les deux pays déploient des offensives diplomatiques sur le continent. La Russie, profitant des crises politiques et institutionnelles dans certains pays et surtout de l’image de moins en moins reluisante du monde occidental, notamment la France en Afrique, est bien en avance dans ces sprints diplomatiques et d’influence. Depuis plus d’une décennie, elle déploie de vastes réseaux d’influence et de propagande qui ont largement contribué à façonner une certaine opinion en sa faveur. Pour autant, l’Ukraine n’en démord pas et cherche aussi à étendre son influence avec en projet l’ouverture d’une dizaine d’ambassades en Afrique.

Comme l’a si bien relevé une étude réalisée et publiée en mars 2024 par l’Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA), « l’invasion de l’Ukraine par la Russie est considérée comme la principale poudrière d’un monde qui sombre rapidement dans la guerre froide. Cela n’a pas échappé à l’Afrique. Dans son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) de 2022, le président de l’Union africaine (UA) Macky Sall a souligné que « l’Afrique a suffisamment souffert du poids de l’histoire ; elle ne veut pas être le terreau d’une nouvelle guerre froide, mais plutôt un pôle de stabilité et d’opportunités ouvert à tous ses partenaires, sur une base mutuellement bénéfique ». (https://saiia.org.za/wp-content/uploads/2024/06/SAIIA_OP_354_LaGuerreRussieUkraine).  Malheureusement, deux ans après, la situation est plus que préoccupante.

Nerwatta KAFANDO

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