Ceci est une tribune de l’ancien ministre en charge du Commerce, le Dr Harouna Kaboré sur un sujet qui fait débat au sein de l’opinion au Burkina Faso. Il se prononce et pense à une nécessaire clarification au service du développement du Burkina Faso. Lisez !
Les savoirs endogènes sont une source pour nourrir le développement endogène, voie indispensable pour notre développement basé sur nos forces et potentialités internes et intrinsèques en général et pour une durable transformation structurelle de notre économie en particulier. Le développement endogène nous est cher et c’est pourquoi les savoirs endogènes constituant une sève pour elle, nous nous sentons comme interpellés à donner notre point de vue sur les confusions actuelles faites entre les termes « fétichisme », « animisme », « obscurantisme », et « savoirs endogènes ». C’est donc un point de vue qui ne constitue certes pas la vérité mais qui pourrait, nous le pensons, être utile à la construction de l’intelligence collective.
En effet, des confusions sont régulièrement faites ou entretenues entre ces termes, nuisant ainsi au développement endogène, soit par « ignorance » ou soit par « choix délibéré » de combattre des « alternatives » loin des sentiers battus de voies et modèles de développement hérités de l’époque coloniale et qui perdurent dont tous connaissent les résultats : le maintien de nos pays dans la dépendance et dans la misère. Ces confusions sont donc de nature à polluer les réflexions sur le développement endogène qui pourrait être la vraie cible. Enfin, le but de cette tribune ne réside pas dans une appréciation qualitative du fétichisme et de l’animisme qui, pour nous, relèvent de la liberté de croyance et de la spiritualité. Nous respectons les différences et la pluralité des croyances. En ce qui concerne par contre l’obscurantisme, nous la combattons et pour les savoirs endogènes nous les défendons. Venons-en au fond.
Notre compréhension du fétichisme
Le fétichisme est une forme alternative de savoir et de croyance enracinée dans des contextes culturels spécifiques. Le fétichisme pourrait être perçu comme une expression de la spiritualité et une tentative de l’être humain d’interagir avec les forces invisibles de l’univers, et donc non réductible à une simple “superstition”.
Dans certaines cultures, les objets fétiches ne sont pas perçus comme des fins en soi, mais comme des médiateurs de forces symboliques ou spirituelles. Plutôt que de freiner le progrès, ils peuvent faire partie d’un cadre plus large de compréhension du monde, en coexistant avec d’autres formes de savoirs. Le fétichisme est donc étroitement lié à la spiritualité et à la croyance en des forces invisibles ou surnaturelles agissant à travers des objets matériels. Le fétichisme se concentre sur l’objet investi de pouvoir, souvent de manière individuelle ou communautaire, sans toujours impliquer un cadre scientifique ou rationnel tel que l’entend la « modernité ». Il repose principalement sur la foi, les rites et la symbolique de l’objet fétiche. Telle est notre compréhension du fétichisme qui est discutable et qui contient surement des limites. Nous sommes perméables aux éventuelles autres définitions car nous avons soifs de toujours apprendre.
L’animisme en question !
L’animisme est une croyance ou une vision du monde selon laquelle tous les êtres, objets et éléments naturels (plantes, animaux, montagnes, rivières, etc.) possèdent une âme ou un esprit. Cette philosophie est souvent associée aux traditions religieuses et spirituelles autochtones, notamment en Afrique, en Asie, dans les Amériques. L’animisme implique que l’univers est habité par des esprits qui interagissent avec les êtres humains, et que tout élément de la nature est investi d’une force vitale ou spirituelle. L’animisme est souvent considéré comme une forme de spiritualité qui vise à respecter et à préserver l’équilibre entre les humains et la nature. Il reconnaît l’importance des forces naturelles et leur interaction avec les humains, sans nécessairement rejeter les savoirs scientifiques. En ce sens, il ne cherche pas à maintenir l’ignorance, mais à intégrer une perspective holistique de l’existence, où la nature et les êtres vivants sont perçus comme interconnectés. Comme dans le fétichisme, l’animisme repose sur la croyance en des esprits ou des forces invisibles. Cependant, il ne se concentre pas sur des objets spécifiques (comme le fétichisme) mais sur la vitalité spirituelle de toute la nature. Cela ne signifie pas nécessairement un rejet des avancées scientifiques ou de la pensée critique, mais plutôt une interprétation spirituelle du monde physique. L’animisme, dans sa forme originelle, ne prône pas le rejet des autres formes de connaissances. Les communautés animistes peuvent combiner les pratiques traditionnelles avec des savoirs empiriques ou scientifiques modernes. Par exemple, les savoirs endogènes d’une communauté animiste peuvent inclure des observations très fines de l’environnement, des techniques agricoles, ou des connaissances médicinales tirées de la nature, sans que cela soit en contradiction avec leur spiritualité.
Et les savoirs endogènes ?
Les savoirs endogènes désignent les connaissances, pratiques et compétences qui se sont développées au sein des communautés locales, souvent sur de longues périodes, et qui sont adaptées aux conditions spécifiques d’une région ou d’un groupe. Ils concernent des domaines variés comme l’agriculture, la médecine traditionnelle, la gestion des ressources naturelles, la construction, l’artisanat, et même la gouvernance sociale.
Ces savoirs sont basés sur une observation empirique du monde environnant et sur une longue expérience transmise de génération en génération. Bien qu’ils puissent intégrer des croyances spirituelles, les savoirs endogènes sont souvent rationnels dans leur application, car ils visent à répondre à des besoins concrets (comme la survie, la production agricole, ou la santé), en fonction des ressources et des environnements locaux.
Ainsi, les savoirs endogènes sont plus largement associés à la connaissance pratique et à la préservation des modes de vie traditionnels, tandis que le fétichisme est plus spécifique à des croyances spirituelles impliquant des objets de culte.
Quid de l’obscurantisme ?
L’obscurantisme désigne toute attitude ou doctrine qui s’oppose à la diffusion des connaissances et au progrès intellectuel, souvent en favorisant l’ignorance ou en maintenant des croyances dogmatiques et irrationnelles. Il peut être volontaire, lorsqu’il est soutenu par des autorités religieuses, politiques ou sociales, dans le but de contrôler la population ou de maintenir un certain ordre établi. L’obscurantisme se manifeste par le rejet ou la dévaluation des sciences, des découvertes, et de la pensée critique. Il privilégie des croyances basées sur la foi, la superstition, ou des dogmes immuables. Les idées obscurantistes visent souvent à limiter l’accès à l’éducation ou à empêcher la diffusion des connaissances scientifiques et philosophiques qui pourraient remettre en cause les croyances ou les structures de pouvoir en place. Dans un cadre obscurantiste, il y a souvent une tentative de maintenir des croyances ou des pratiques « anciennes » en dépit de leur contestation par des preuves empiriques ou des faits. Cela inclut parfois la protection d’élites ou d’institutions qui bénéficient de cette ignorance
Pas de confusion entre fétichisme et savoirs endogènes
Les savoirs endogènes sont plus largement associés à la connaissance pratique et à la préservation des modes de vie traditionnels, tandis que le fétichisme est plus spécifique à des croyances spirituelles impliquant des objets de culte. Les finalités et les fondements des deux sujets permettent également de sortir des confusions. En effet, en termes de finalité, l’on peut retenir que le fétichisme vise souvent à influencer le destin ou à chercher la protection spirituelle, tandis que les savoirs endogènes cherchent des solutions pratiques aux défis locaux (agriculture, santé, gestion des ressources). Le fétichisme est fondé sur la foi et la spiritualité, alors que les savoirs endogènes reposent principalement sur une logique d’adaptation à l’environnement naturel et social, souvent testée au fil des générations.
Différences entre l’animisme et l’obscurantisme
L’animisme est une croyance ouverte contrairement à l’obscurantisme qui est une croyance dogmatique. En effet, contrairement à l’obscurantisme, l’animisme ne repose pas sur un dogme rigide qui refuse toute forme de questionnement ou de progrès. Au contraire, dans de nombreuses cultures animistes, la spiritualité est flexible et évolue avec les circonstances sociales et environnementales. Aussi, bien que certaines pratiques animistes puissent entrer en conflit avec la science moderne (par exemple, si elles privilégient des rituels plutôt que des soins médicaux), l’animisme n’est pas intrinsèquement opposé aux progrès scientifiques. Certaines sociétés animistes combinent efficacement leurs croyances spirituelles avec des pratiques modernes, sans nécessairement sombrer dans l’obscurantisme.
L’animisme est donc une vision du monde qui imprègne la nature de spiritualité et de forces invisibles. Contrairement à l’obscurantisme, il n’implique pas nécessairement le rejet de la rationalité ou des savoirs scientifiques. Bien qu’il puisse coexister avec des pratiques traditionnelles et mystiques, il ne cherche pas à bloquer la diffusion des connaissances ni à imposer un dogme strict. Sa différence fondamentale avec l’obscurantisme réside dans sa flexibilité et sa capacité à s’adapter aux évolutions culturelles, sociales et scientifiques tout en conservant une profonde connexion spirituelle avec le monde naturel.
Les liens possibles de l’obscurantisme avec le fétichisme et les savoirs endogènes
Nous devons cependant noter que par l’agissement des hommes le fétichisme et les savoirs endogènes peuvent être pollués par l’obscurantisme.
Dans le cas du fétichisme, il peut être considéré comme une forme d’obscurantisme si ses adeptes empêchent l’adoption de nouvelles connaissances ou technologies qui contredisent la croyance en ces objets mystiques. Cela devient obscurantiste lorsque la croyance fétichiste empêche la remise en question ou le développement de solutions rationnelles, et notamment si des autorités spirituelles l’utilisent pour exploiter les croyants ou pour éviter la diffusion des savoirs modernes et scientifiques.
Pour les savoirs endogènes, ils ne relèvent pas de l’obscurantisme en eux-mêmes. En rappel, ces savoirs sont souvent des exemples de connaissances pratiques adaptées à des contextes locaux, même s’ils ne sont pas toujours validés par la science moderne. Cependant, ils pourraient devenir obscurantistes si, par exemple, les communautés refusaient d’adopter des innovations ou des découvertes scientifiques au nom de la tradition, ou si des autorités locales empêchaient volontairement l’introduction de nouvelles idées qui pourraient bénéficier à la population.
Conclusion
L’obscurantisme, c’est le refus de l’ouverture intellectuelle, du progrès et de la remise en question des croyances non vérifiées. Il peut s’insinuer dans n’importe quel système de pensée y compris le fétichisme et, potentiellement, dans des interprétations rigides des savoirs endogènes lorsqu’il devient un obstacle à l’éducation, à la science et à la rationalité.
En ce sens, les croyances fétichistes ne doivent pas être confondues avec de l’obscurantisme, car elles peuvent offrir un autre mode de connaissance, non scientifique mais néanmoins significatif pour les communautés concernées.
Enfin, certaines pratiques fétichistes contribuent à la cohésion sociale, à la préservation des traditions et à la transmission des savoirs ancestraux. Elles peuvent participer à l’identité collective et à la résilience face à des crises ou des défis. Ce qui pourrait être perçu comme irrationnel dans un cadre moderne pourrait avoir une valeur culturelle et symbolique qui transcende la simple dichotomie entre rationalité et obscurantisme.
Et bien évidemment je ne saurai terminer sans réaffirmer que tous les développements ont été endogènes. « Germinal », romand de Émile Zola nous enseigne un pan du développement endogène en ce qui concerne l’Europe, le confucianisme et le shintoïsme ont nourri respectivement le développement endogène de la Chine et du Japon. Sortons alors des sentiers battus et osons notre développement endogène basé bien entendu sur un projet de société et évitons le piège de toute juxtaposition ou un assemblage de projets sans cohérence d’ensemble. Le développement endogène doit constituer le socle de la remise du « système Burkina » sur une trajectoire vertueuse dans une vision prospective à long terme. Et les savoirs endogènes constituent une source pour comprendre et réussir des approches au niveau locales sans antagonisme avec les connaissances scientifiques. Sortons des confusions ! #lefasodabord !
Dr Harouna Kaboré