Dans un litige qui opposait à l’Etat burkinabè au pharmacien Dr Y. Traoré, le Conseil d’Etat, juridiction supérieure de l’ordre administratif a condamné l’Etat à payer 400 millions FCFA. Voici la décision dans les détails.
Tout a commencé en janvier 2009. Dr Y. Traoré, pharmacien, a introduit une demande auprès du ministre en charge de la Santé à l’effet d’être autorisé à ouvrir son officine à Zorgho, ville située à environ 100 km de Ouagadougou. Le ministère va trainer avant de répondre : 18 mois d’attente. Pourtant, le délai imparti par l’arrêté portant conditions d’octroi d’autorisation de création d’officine pharmaceutique est de trois mois.
N’ayant pas de suite, le pharmacien est naturellement allé aux nouvelles pour comprendre pourquoi son dossier a pris autant de temps. La réponse tombe : son dossier était perdu. Finalement, c’est finalement le 10 juin 2010 qu’il obtient l’arrêté d’ouverture de sa pharmacie.
Des concurrents dans la place
Au moment où il obtient son sésame, il n’était plus seul. Il va trouver sept autres dépôts pharmaceutiques dans la localité. Pourtant, selon la règlementation, en cas d’ouverture d’une officine pharmaceutique dans un rayon de dix kilomètres, aucun dépôt privé de médicaments ne peut exister dans ledit rayon. Malgré cette disposition règlementaire, la direction régionale de la Santé est restée silencieuse. Ainsi, sentant le péril qu’il courait, Dr Traoré prend sa plume et adresse le 5 avril 2013 une correspondance à la direction régionale de la Santé » du Plateau central pour dénoncer ce fait illégal et anti-concurrentiel ». Au lieu de le faire cesser, la direction régionale a préféré accorder trois autres mois supplémentaires pour la fermeture desdits dépôts pharmaceutiques ». Pour le plaignant, cette situation lui cause d’énormes préjudices et a engendré un déficit d’au moins 70% de son marché. Toute chose qui « a entrainé des dysfonctionnements et d’énormes pertes qui l’ont exposé à des poursuites fiscales ».
Selon la décision rendue par le Conseil d’Etat, le plaignant avait saisi le 21 octobre 2014 « le ministre en charge de la Santé pour lui demander d’assainir le milieu de la Santé dans le respect de la loi ». Sa saisine du ministre d’alors étant restée sans suite, il décide de se tourner vers le Tribunal administratif de Ouagadougou pour soigner ses intérêts. Devant cette juridiction, il a réclamé en tout 1.233.670.194 FCFA. Examinant l’affaire, le Tribunal administratif a déclaré la requête fondée et a condamné l’Etat à lui payer 200 millions FCFA au titre des marges bénéficiaires plus 50 millions comme dommages et intérêts et 300.000 FCFA comme frais du procès. En tout, l’Etat devra casquer la somme de 250.300.000 FCFA.
« Réclamations fantaisistes »
Le pharmacien trouve la décision en deçà de ses attentes et saisit le Conseil d’Etat. Il expose devant cette juridiction supérieure que le préjudice qu’il a subi a commencé depuis le dépôt de sa demande d’autorisation d’ouverture de sa pharmacie. Une étape dans laquelle il estime que le ministère de la Santé a trainé les pas (15 mois de retard). Dr Traoré expose également le fait qu’il a été confronté « à la concurrence et à la vente illicite de produits pharmaceutiques de 7 dépôts pharmaceutiques qui ont refusé de fermer malgré l’existence de dispositions légales qui les y contraignent ».
L’Etat représenté par l’Agent judiciaire du Trésor soutient devant le Conseil d’Etat que la requête du plaignant est mal fondée car après l’écoulement du délai de trois mois après sa demande, il disposait d’une autorisation tacite de création de son officine pharmaceutique. Mieux, poursuit-il, suite à la dénonciation du plaignant, l’Etat a fait des diligences et des arrêtés de fermeture ont été pris le 13 octobre 2013 contre les dépôts pharmaceutiques qui continuaient d’exercer dans cette ville. « Qu’en somme, toutes les réclamations du requérant sont fantaisistes et dénuées de tout fondement et de réalisme. Le requérant se borne à faire des affirmations sans véritablement pouvoir les justifier et nul ne sait à quoi et à quelle logique juridique répond le ratio de 70%, ni quel était le montant réel des bénéfices », a plaidé l’Agent judiciaire du Trésor devant le Conseil d’Etat à son audience publique du 25 mai 2018. Le juge du Conseil d’Etat dans sa décision rendue en dernier ressort a infirmé le jugement rendu par le Tribunal administratif de Ouagadougou quant au quantum des sommes allouées au pharmacien. Statuant à nouveau, il a condamné l’Etat burkinabè à payer à Dr Y. Traoré la somme de 400 millions de francs CFA pour tous les préjudices confondus.