Issaka Sourwema a été nommé ministre des Affaires religieuses et coutumières dans le gouvernement de la Transition. Nous vous proposons ce qu’il suggérait comme solution dans le cadre de la lutte contre la sécurité et la coproduction traditionnelle de la sécurité. « Ce patrimoine des sociétés dites traditionnelles était en fait une forme de coproduction de la gouvernance et singulièrement de la sécurité. » Lisez !
De nos jours sur tous les continents et naturellement au sein des gouvernants et des opinions publiques des différents pays, les mots et expressions conflits, insécurité, guerre asymétrique, radicalisation, extrémisme violent, etc. connaissent une forte récurrence. Tout aussi récurrent est l’usage de leurs antonymes que sont les concepts de sécurité, de prévention, de gestion et de résolution des conflits, de prévention de la radicalisation et de lutte contre l’extrémisme violent, de coproduction de la sécurité. S’il est vrai qu’à cause (malencontreusement certes) de la situation de guerre de fait que traverse leur pays bien de vocables sont devenus plus courants chez les Burkinabè, il n’est pas certain que tout le monde en maîtrise les contours, les subtilités et les nuances. Sans avoir la prétention d’en être un expert, nous avons eu l’opportunité, grâce à l’Institut des Etats-Unis pour la paix (United States Institute of Peace-USIP), aux ministères chargés de la sécurité et de l’administration du territoire et à certains autres acteurs, de nous familiariser avec les concepts et les expressions qui intègrent les solutions aux problématiques à l’ordre du jour. Ce sont la sécurité dont le champ sémantique a connu un élargissement prenant en compte l’humain dans ses principales dimensions et la coproduction de la sécurité qui relativise paradigme wébérien faisant de l’Etat l’unique détenteur légal de la violence légitime.
Quelques repères conceptuels de base
Matériellement, on peut dire que la sécurité est une situation qui, dans un contexte donné, présente le minimum de risque possible tandis que psychologiquement elle est l’état d’esprit d’une personne qui se sent tranquille et confiante. A l’échelle de l’individu comme du groupe social, c’est l’impression justifiée ou non d’être protégé de tout danger et/ou risque. La sécurité peut s’intéresser aux causes d’un phénomène comme le cas des actes commis par malveillance (attentats, crimes, vols…) ou aux conséquences de ce phénomène à l’instar des catastrophes naturelles (inondations, invasions de criquets pèlerins, etc.).
En plus du contenu originel et générique du concept, il faut noter que son champ sémantique a connu une extension avec l’adjonction du qualificatif « humaine ». C’est un concept émergent apparu dans les années 1990 qui prend en compte la sécurité centrée sur les populations. Du point de vue théorique, la sécurité humaine procède d’une approche comprenant les recherches sur le développement, les relations internationales et les droits humains. Concrètement, elle inclut également des secteurs autres que la sécurité/sûreté « physique » (tout court) des personnes ; cet aspect relevant traditionnellement des forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie, garde de sécurité pénitentiaire, eaux et forêts, douane…) et des forces armées nationales. Les secteurs concernés sont la sécurité sociale, la sécurité économique, les droits politiques (ou de façon plus générale le développement humain) et l’environnement.
La coproduction de la sécurité ou la gouvernance participative et inclusive de la sécurité pour la population et avec la population
Si le déclenchement d’un conflit est la résultante d’un fait que tout le monde peut identifier, il n’en est pas forcement de même pour les facteurs et les causes de ce conflit. Effectivement, les conflits armés conventionnels et asymétriques, notamment africains, sont la conséquence de plusieurs facteurs (culturels, sociaux, politiques, militaires, géopolitiques) imbriqués les uns dans les autres au point de paraître inextricables, donc insolubles. En outre, ils supposent l’existence de multiples acteurs (aux intérêts souvent différents et même antagoniques), de nombreuses alliances (parfois contre-nature) et de mobiles (quelques fois insolites). Même dans les cas où la cause primitive de celui-ci semble unique et négligeable, une fois survenu et en l’absence de mécanisme de gestion, il peut s’amplifier et devenir hors de contrôle.
Ce faisant, la production classique de la sécurité se révèle certes importante mais ne procure pas suffisamment d’outils pour appréhender les causes, les acteurs, les intérêts en jeu et les conséquences des conflits d’une part et d’autre part trouver la thérapie appropriée ; d’où la pertinence de l’approche de la coproduction de la sécurité dont la notion de police de proximité au Burkina Faso est l’une des expressions. Là, la gestion ou la résolution de ces conflits induit l’implication au plan local de tous les groupes acteurs sociaux (catégories socioprofessionnelles), par le biais de leurs représentants légitimes en vue de procéder par eux-mêmes à l’identification des différends ou des conflits, de leurs principaux protagonistes, de leur(s) objet(s), de leurs causes, des options de solution à examiner et des solutions possibles et durables. Si fait que les possibilités d’instrumentalisation de la politique ou de la religion et d’évolution des frustrations vers la colère sont limitées ; et du même coup, la tentation de céder à la violence organisée ou non peut être minimisée.
La coproduction de la sécurité dans les sociétés dites traditionnelles et l’impératif d’en exploiter les universaux traditionnels à l’échelle du Burkina
Même si les sociétés dites traditionnelles de l’Afrique subsaharienne ont connu des mutations fulgurantes du fait de l’irruption de l’Occident conquérant dans leur existence, il subsiste des survivances du système de collecte, de gestion et de traitement de l’information sécuritaire pendant la période précoloniale. De plus, les octogénaires et nonagénaires bon œil bon pied sont encore des mémoires vivantes auprès desquels il est possible d’étancher notre soif de connaissance en la matière.
C’est d’autant plus impératif que :
- Ce système intimement associé à l’éducation et à la socialisation des individus faisait de ceux-ci leur propre gendarme, fonctionnaire de police et militaire en fonction des circonstances. Sans tomber dans le passéisme, il n’est pas exagéré de souligner qu’étant ainsi bien policées, ces sociétés n’avaient pas besoin de prison. Et il n’y en avait pas ! D’ailleurs, les délits ou crimes (au sens où ces concepts sont entendus aujourd’hui) étaient rares. Les personnes vulnérables comme les personnes âgées étaient (et le sont toujours) considérées comme des fontaines où l’on s’abreuvait des expériences de l’école de la vie ; les malades mentaux (à moins de constituer de réelles menaces pour la cohésion sociale et à l’ordre public) comme et les personnes souffrant d’encéphalopathie étaient intégrés dans la vie des membres des familles. Ces derniers participaient aux grands rassemblements de la communauté et avaient accès aux chefs traditionnels et coutumiers dont ils étaient, du reste, les protégés dans certaines sociétés ;
- Le savoir relatif à ces mécanismes est de plus en plus évanescent au regard des « bibliothèques » (les anciens) qui sont en train de brûler ;
- Les défis contemporains liés à la radicalisation et à l’extrémisme violent sapent les fondements de nos communautés en instrumentalisant la religion comme projet de société, après l’échec des nationalismes, de l’anti-impérialisme, du socialisme et du communisme.
- Ce patrimoine des sociétés dites traditionnelles était en fait une forme de coproduction de la gouvernance et singulièrement de la sécurité. Les bases fondamentales en étaient le processus de socialisation de l’individu, l’éducation, les cérémonies d’initiation, les différentes cérémonies. Il y avait également, à intervalles réguliers, des rencontres pour passer en revue les problèmes auxquels fait face la communauté afin de leur trouver des solutions consensuelles. Aujourd’hui, des recherches sont en cours (fort heureusement) sur ces sujets même s’il faut accélérer la cadence pour en exploiter les résultats au vu des défis de l’heure.
Issaka SOURWEMA, Dawelg Naaba Boalga