Maison Sainte Anne de la paroisse des Saints Martyrs de l’Ouganda de Téma-Bokin : ce nom ne vous dit peut-être rien. Mais à Téma-Bokin, commune de la province de Passoré dans la région du Nord, résident des dizaines de femmes du troisième âge, pour la plupart. Elles ne sont pas ces « bonnes sœurs catholiques » arpentant les couloirs d’une cathédrale, mais plutôt des réfugiées dans les locaux de cette paroisse depuis plus de 5 ans. Accusées par leurs familles d’être des mangeuses d’âmes (des sorcières) elles ont, chacune, une histoire particulière. Elles vivent dans l’amertume, dans des conditions difficiles de séparation forcée d’avec leurs familles, pleurent au fond d’elles-mêmes. Chassées et humiliées, elles tentent une survie. Outre Téma-Bokin, on les retrouve aussi à Yako et à Ouagadougou avec les mêmes réalités.
« Ce sont ceux qui m’accusent de la sorcellerie qui disent que je suis mangeuse d’âme ; moi, je n’en sais rien ». C’est ainsi que Valérie Tapsoba, 60 ans, laisse se dissiper une douleur enfouie au fond d’elle. Une souffrance qu’elle endure depuis 5 ans, des suites de son bannissement de sa famille et ce, pour allégation de sorcellerie. Elle a tout perdu : sa famille, mais surtout sa dignité bafouée.
Comme Valérie Taposba, elles sont nombreuses, ces personnes de troisième âge ; bannies de leurs communautés pour la même raison et qui ont élu domicile dans des centres d’accueil au Burkina Faso. L’histoire de dame Valérie remonte à 5 ans plus tôt. Et elle s’en souvient comme si c’était hier : « c’était au village, un homme est mort. J’ai été pointée du doigt, puis accusée d’être une mangeuse d’âme. J’ai été humiliée et battue. Ils m’ont bannie de notre village et de ma famille ». C’est avec émotion et révolte que Valérie s’interroge encore, 5 ans après : « je ne comprends toujours pas ! Je n’ai même pas eu l’occasion de prouver mon innocence et mes enfants aussi m’ont abandonnée depuis lors ».
Chef coutumier, avocat, homme de lettres et auteur de plusieurs ouvrages et fin connaisseur des questions liées aux accusations et allégations de sorcellerie, Me Frédéric Titinga Pacéré explique : « toujours, la preuve de l’accusation de la sorcellerie est apportée par la société qui protège celui qui pratique le siongo».
« Siongo ou l’interrogatoire des morts »
Cette pratique d’exclusion pour fait de sorcellerie connue sous le nom de « Siongo », c’est-à-dire l’interrogatoire des morts, n’est autre chose qu’une croyance culturelle. Selon Monseigneur Théophile Naré, évêque du diocèse de Kaya, « on a entendu qu’il s’agit d’un rituel qui consiste à ce qu’une dépouille conduise ceux qui la transportent jusqu’à désigner qui est à l’origine de sa mort ».
Dans les locaux de la paroisse de Téma-Bokin, il n’y a pas que des femmes comme Valérie. On y trouve aussi une poignée d’hommes. Leur dénominateur commun : accusés de sorcellerie. En plus, ils sont d’un âge avancé, vivent dans la précarité et pour tout couronner, nombreux parmi eux sont des veufs et des veuves.
Après la désignation par le Siongo pour avoir causé la mort d’autrui, débute le calvaire pour la personne désignée. Benjamin Bamogo, responsable des pensionnaires du Centre Delwendé de Sakoula dans la province du Kadiogo, un foyer qui accueille 185 femmes et 5 hommes accusés de sorcellerie, n’hésite pas à témoigner. C’est avec tristesse qu’il relate des cas déshumanisants. « Ils sont exclus de leur famille, de la société, accusés d’être mangeurs d’âmes (…). Souvent, ces personnes âgées sont humiliées, frappées, dépouillées et elles finissent par s’enfuir à pied sur de longues distances à la recherche de refuge et loin de leurs accusateurs. Parmi ces personnes exclues, on y trouve des personnes très âgées et même des aveugles, qui marchent à peine. Elles arrivent souvent à moitié dénudées », regrette Benjamin Bamogo.
Les familles se divisent ensuite et les personnes accusées de sorcellerie sont isolées. Les histoires de ce genre sont presque pareilles à la maison Sainte Anne à Téma-Bokin, lieu où Valérie Tapsoba a élu domicile. Elles se sentent toutes victimes de ce qu’elles appellent « l’injustice » et apprennent à survivre et à espérer tout de même.
Poko Konkobo, 58 ans, une des pensionnaires, rêve toujours de rentrer auprès de siens. Mais, encore faudrait-il que sa famille l’accepte. Elle en est consciente, mais comment prouver son innocence, si les accusateurs d’antan ne lui accordent aucune chance. « Ils m’ont violentée et chassée, sans rien », s’indigne-t-elle.
Contrairement à elle, Awa Traoré, 70 ans révolus, une autre accusée de sorcellerie, envisage de regagner la famille de son père pour éviter « la honte » dit-elle. « J’ai été bafouée dans ma dignité, je ne peux plus retourner chez mon mari ». Marie Bouda, elle, ne peut plus rentrer chez elle également. Son chagrin est énorme. Chaque fois que ses enfants lui rendent une brève visite dans le centre, c’est le cœur meurtri qu’elle les rencontre. « Je vois mes enfants souvent, mais j’ai mal », confesse-t-elle.
Le nécessaire accompagnement
A la maison Sainte Anne, foyer aménagé par l’Eglise catholique, « elles sont une trentaine de personnes, accusées d’être des mangeuses d’âmes. Elles viennent trouver refuge ici ; la plus âgée à 90 ans et la plus jeune à 47 ans », explique la sœur Solange Ouédraogo, accompagnatrice spirituelle de ces personnes exclues. Selon elle, « l’Eglise les accompagne à avoir de l’espoir. »
Dans ce centre, chacun à son histoire et son parcours. Benjamin Bamogo, un des responsables du centre Delwendé, témoin de plusieurs faits, affirme que de nombreuses personnes âgées sont décédées, sans avoir jamais pu revoir les membres de leurs familles et d’autres vivent dans le désespoir de ne pouvoir revoir leurs proches avant la fin de leurs jours. Même si des efforts sont faits pour réconcilier les familles, Benjamin Bamogo regrette « les réticences » de certaines.
Autre lieu, mœurs identiques
A la paroisse Saint Jean Marie Vianney de Yako, toujours dans la Région du Nord, c’est la Sœur Jacqueline Djiédem qui est aux soins d’autres personnes exclues pour la même raison. Elle confie tristement que le centre d’accueil de Yako « abrite 14 personnes venues de plusieurs villages, notamment Pilimpikou, Grand-Samba, Arbollé, etc. » Chassées de leurs villages, certaines prennent automatiquement la direction de la paroisse, soutient la religieuse Jacqueline Djiédem. « Elles viennent de loin, elles ne connaissent même pas souvent où se trouve la paroisse. Elles s’informent et arrivent à notre insu. On se réveille des matins et on les retrouve seules, puis on les accueille » poursuit la sœur Jacqueline Djiédem. Face à une telle situation, les religieuses de la paroisse Saint Jean Marie Vianney de Yako font l’effort de trouver rapidement un abri pour ces accusées de sorcellerie.
Pour le Haut-commissaire de la province du Passoré, Issaka Segda, « la sorcellerie est une pratique ancienne qui est difficile à combattre ». Puis il ajoute que « c’est aussi une préoccupation pour les autorités. La justice n’arrive pas à faire les preuves de la sorcellerie ; des gens qui utilisent les potions et accusent les autres de sorcellerie et cela engendre des suicides et des exclusions. Nous sommes découragés » fait-il remarquer.
Habitué à ces faits de société, Aimé Segda, un journaliste basé dans la région du Centre-nord, est indigné. « Pourquoi ces individus (ndlr : accusés de sorcellerie) sont laissés pour compte ? Cela ressemble à des règlements de compte ? Il faut souvent que la justice arrive à régler ce problème ». Quant à l’évêque de Kaya, Mgr Théophile Naré, lui pense qu’« on ne peut pas manger une âme d’une personne ». Et mieux, la méthode utilisée pour détecter la sorcellerie, c’est-à-dire, l’interrogatoire des morts, « est faillible ». Il estime qu’il « faut trouver un autre moyen de se protéger contre les forces du mal occultes que d’exclure des gens de leurs familles ».
Les difficultés demeurent…
Sur leur visage, se lisent le désespoir et des interrogations sans fin. Parce qu’elles sont nées dans ces localités, y ont vécu et que l’interrogatoire des morts a prouvé, qu’elles étaient responsables de la mort d’autrui, elles se retrouvent finalement au soir de leurs vies, dans un centre d’accueil, loin des siens et dépouillées de tout, même de la dignité. Pour faire face à leur destin, elles se confient à Dieu à travers la prière. Se lamente Maimouna Sebgo, pensionnaire du Centre de Yako, depuis 4 ans. « Un homme a perdu son enfant et quand on a porté le siongo, il est venu directement me cogner. Je ne suis pas sorcière. Mais comme les gens se sont concertés pour me chasser, on n’y peut rien ».
Les difficultés demeurent et la Sœur Jacqueline Djiedem les vit quotidiennement avec les accusées. « C’est difficile actuellement vu leur nombre ; les logements sont détruits et l’eau ruisselle. Il n’y a pas de lumière, ni de cuisine encore moins de l’assainissement. C’est une préoccupation énorme pour nous qui n’avons plus les moyens pour prendre convenablement soin d’elles. En plus de l’état délabré des bâtiments, il n’y a pas de prise en charge de sanitaire. Plus grave, il y a des violeurs et des voleurs qui guettent l’occasion pour s’en prendre aux vieilles », s’indigne la sœur Jacqueline.
Leur rêve, retourner dans leurs familles
« Chaque jour, elles rêvent de rentrer chez elles et revoir leurs enfants », confie la Sœur Germaine Sawadogo, accompagnatrice au Centre Delwendé. Des initiatives sont en cours pour leur retour. L’Eglise et l’Etat s’attèlent à travers la commission Justice et Paix à favoriser leur retour en famille. D’ailleurs, pour la Sœur Germaine Sawadogo, « c’est une mauvaise pratique de chasser sa maman. Les mamans doivent être à côté de leurs enfants, petits-enfants et leurs belles-filles. Quand elles ne sont pas là, cela crée un manque dans la famille, cela détruit la société et crée des blessures ».
C’est une préoccupation pour l’Etat qui fait « des efforts pour freiner les cas d’exclusion, mais aussi engager des pourparlers, afin que les personnes exclues puissent regagner les familles d’origine, mais la tâche demeure ardue », souligne Yakouba Ouédraogo, directeur régional de la femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire, du Centre-nord.
C’est la raison pour laquelle des lois ont été adoptées pour protéger les personnes victimes d’exclusion sociale. Selon les explications d’Isaïe Bamogo, directeur régional des droits humains du Centre-nord, « la loi punit des personnes accusées d’exclusion sociale et les violences faites aux femmes. Il s’agit de la loi CNT 61 et de la loi CNT 61 qui portent sur la promotion et la protection des personnes âgées ».
Mariam Lamizana, présidente de l’ONG Voix de Femmes, à l’origine d’une caravane de presse et de sensibilisation sur la question d’exclusion pour allégations de sorcellerie précise que « la sensibilisation, la conscientisation et la protection doivent continuer, afin de freiner ces violations de droits humains ».
Cette ONG « en guerre » contre le phénomène par la voix de Mariam Lamizana se dit « très préoccupée par la situation et invite les médias à tirer la sonnette d’alarme sur les méfaits de ce fléau ». Quant à Yakouba Ouédraogo « c’est une problématique qui a traversé le temps et concerne tout le Burkina Faso. Beaucoup grandissent avec cela dans la tête et cela devient une question difficile à trancher sur le plan scientifique ».