Ceci est une déclaration du Manifeste pour l’unité nationale, la paix et le développement.
Notre pays vit une situation de détresse profonde du fait de multiples problèmes liés à l’insécurité devenue particulièrement violente et endémique, à la vie chère devenue systémique et à un délitement social sans précédent qui mettent dangereusement en péril jusqu’à son existence. Un constat très difficile qui engendre une sorte de fatalisme malgré des réactions multiples et multiformes, à l’image de quelqu’un tombé dans des sables mouvants et qui se débat avec l’énergie du désespoir sans se rendre compte que c’est son agitation même qui précipite sa perte.
La situation est si périlleuse qu’elle interpelle chaque Burkinabè et tous les Burkinabè, gouvernants et gouvernés, politiques et non politiques, villes et campagnes, jeunes et vieux, hommes et femmes. Jamais les Burkinabè n’ont été aussi conscients, à la fois de leur communauté de destin, de leur fragilité et de la nécessité pour eux d’un sursaut pour tenter de sauver un vivre ensemble devenu brutalement leur talon d’Achille. En moins d’une décennie ils sont en train de voir s’écrouler et fondre devant et sous eux, leur unité qui leur a permis de traverser l’Histoire et le temps.
C’est dans ce contexte que le « Manifeste pour l’unité nationale, la paix et le développement » fait sa première sortie publique officielle pour analyser la situation nationale et interpeller les différents acteurs face à leurs responsabilités en ces moments où se joue le destin de notre nation.
POURQUOI LE MANIFESTE POUR L’UNITÉ NATIONALE, LA PAIX ET LE DÉVELOPPEMENT
S’il est vrai que la crise multiforme que vit actuellement le Burkina Faso frappe l’imaginaire par ses proportions hors du commun, elle n’est pas pour autant, ni née ex nihilo, ni ne saurait être une fatalité. Son développement fulgurant ces dernières semaines par la survenue de drame inimaginables ne doit pas faire oublier qu’elle prend racine dans un passé certes récent, mais qui a permis de la voir venir et prospérer.
Malgré ce contexte particulièrement difficile, le pouvoir en place a gagné les dernières élections présidentielles et législatives de novembre 2020, lui permettant non seulement de se succéder à lui-même, mais de se tailler une nouvelle légitimité que rien ne laissait prédire au point d’être source d’énormes difficultés pour le processus démocratique. En effet, en plus de fragiliser un peu plus l’opposition, ces élections ont entrainé de nouveaux positionnements qui accroissent la bipolarisation du landerneau politique en « insurgés » regroupés autour du pouvoir et « ancien régime » incarné par le Cfop, lui-même réduit dans l’imaginaire populaire au CDP, l’ex-parti au pouvoir, et à ses divisions.
La société civile qui devrait jouer le rôle de tampon entre les deux, même si elle compte de nombreuses associations et s’exprime beaucoup, est très peu crédible parce que fortement politisée. Dans le bras-de-fer qui en résulte, le détenteur de la force publique a forcément « les meilleurs atouts », l’argument de la force ayant tendance à prendre le pas sur la force de l’argument, élargissant ainsi de fait de plus en plus le fossé entre les différents acteurs au détriment d’un fonctionnement harmonieux des institutions.
Il en découle le plus naturellement du monde des mouvements spontanés voir anarchistes des populations à la base qui mettent à mal l’autorité de l’État, la paix sociale et fragilise le vivre ensemble. Si à cela on ajoute le contexte sécuritaire exécrable avec son lot de violences innommables sur les populations civiles et les Forces de défense et de sécurité, on comprend aisément que le pays soit dans une situation complexe dans laquelle il devient difficile de faire la part des choses entre le jeu libre et responsable des pouvoirs et des acteurs et les récupérations aux fins de politique politicienne. Inutile de se livrer à un inventaire d’apothicaire macabre et morbide pour décrire la situation, puisque celle-ci est vécue presque tous les jours par des nouvelles plus mauvaises les unes que les autres. En vérité, le Burkina Faso est à la croisée des chemins puisqu’il est fortement menacé dans son existence même.
Il ne s’agit donc pas seulement pour les Burkinabè de se parler et de se réconcilier, comme on le voudrait, mais bien plus, de trouver les mécanismes pour faire front ensemble pour sauver l’essentiel, c’est-à-dire leur pays. Tout un programme qui nécessite d’aller au-delà des lieux communs et d’explorer les espaces les plus conflictuels pour imaginer des consensus minimums largement partagés. Il n’y a pas et il ne s’aurait y avoir de sujets tabous ou de problèmes sur lesquels on ne pourrait pas trouver le minimum qui permettrait de sauver l’avenir. Il faut s’affranchir des clichés fondés sur des raccourcis car l’Histoire doit permettre de construire et de bâtir l’avenir et non de l’assujettir.
C’est donc un impératif stratégique urgent pour le pays, à défaut de pouvoir apporter dans l’immédiat des réponses satisfaisantes aux préoccupations des populations, de favoriser l’émergence de structures et d’espaces d’échanges fiables et crédibles à-même de les porter et de susciter l’espoir.
La présente initiative s’inscrit dans cette dynamique et se propose de prendre en charge directement la lourde question de l’unité nationale en lien avec la paix et le développement qui sont les finalités de toutes les actions. Elle se propose d’être à la fois un centre de réflexion, de proposition et de formation et un moyen d’action. Il s’agit d’œuvrer à une convergence des points de vues et des stratégies pour atteindre l’unité nationale que l’on sait indispensable à la réalisation de la réconciliation nationale, à la victoire sur le terrorisme, au retour des exilés, à la paix, au développement, etc.
UNE DEMARCHE PARTICIPATIVE INCLUSIVE
Notre objectif est de quitter les chemins battus tout en capitalisant les nombreux acquis des processus et démarches antérieures.
On parle trop souvent du retour du président Compaoré et de celui des exilés comme s’il s’agissait juste pour certains de prendre un billet d’avion et de venir s’asseoir à Ziniaré ou rejoindre son domicile, tandis que pour d’autres de prendre un billet direct pour la MACA ou la MACO ! En vérité, on se contente de préjugés qui exacerbent les clivages et les antagonismes, alors qu’une réelle connaissance peut permettre de surmonter ceux-ci et de rapprocher des positions jugées inconciliables.
Il en est de même des procès Thomas Sankara, Norbert Zongo et du dernier gouvernement de Blaise Compaoré ou encore des crimes économiques dont tout le monde parle, sans réellement en connaitre les tenants et les aboutissants.
Que dire de la réconciliation nationale, dont tout le monde parle sans que personne ne puisse dire ce qu’il en est véritablement. Les difficultés qu’éprouve le ministère créé pour gérer ce dossier est la preuve manifeste qu’il y a loin de la coupe aux lèvres sur ce sujet.
On parle de justice transitionnelle, de justice traditionnelle, de justice classique, du tryptique vérité-justice-réconciliation, d’amnistie etc. sans réellement connaitre leurs contenus, leurs finalités, etc. Certains de ces concepts sont devenus de véritables camisoles de force, voire de vulgaires bonnets d’ânes.
On s’érige partout en stratèges de la lutte contre le terrorisme ou en Parangon du patriotisme sans apporter le moindre indice sur ses prétentions trop souvent surfaites.
Toutes ces questions sont la chasse gardée de l’élite intellectuelle et accessoirement de certains activistes qui en ont fait un véritable fonds de commerce. Il faut les sortir de ces ghettos, les mettre sur la place publique et à la portée des populations. C’est ainsi qu’on pourra contourner les barrières politiciennes artificielles, rendre audibles les discours des premiers bénéficiaires et permettre aux décideurs d’avoir en main toutes les cartes pour ne pas être l’otage des extrémistes de leur propre camp.
Politiques, associations de la société civile et acteurs de divers horizons sont donc directement concernés. Il faut mettre un terme aux monologues et se parler ; il faut aller au-delà de l’institutionnel, réfléchir ensemble et définir des stratégies afin de créer des synergies d’actions à même de faire bouger les lignes. Le pouvoir qui a fait de la réconciliation nationale une de ses priorités avec un engagement personnel du Président du Faso, y a tout à gagner.
La démarche qui se veut inclusive sera déclinée dans deux grandes directions : le « Manifeste » et les « Échanges démocratiques ».
Le Manifeste qui fixera le cadre général de l’initiative, sera une plateforme minimale sur les questions de l’unité nationale, de la paix et du développement. Il donnera les orientations principales, les objectifs et les moyens de les atteindre et proposera une démarche dynamique pour aller à l’unité nationale condition sine qua non pour espérer venir à bout du terrorisme, vaincre la vie chère et poser les bases d’un développement participatif fécond. Il fera l’objet d’un plaidoyer actif avec pour objectif d’intéresser le maximum de citoyens de tous les horizons et de l’enrichir au fur et à mesure qu’il sera mis en œuvre.
Les Échanges démocratiques se feront sous forme d’activités de formation et d’échanges qui permettront la libre expression des opinions et des propositions sur toutes les questions d’intérêt national. Il s’agira de mettre à plat tous les sujets, même et surtout, ceux qui fâchent et d’en débattre sans tabous. La pleine et libre expression des opinions devrait aider à aboutir à de meilleures connaissances et une meilleure compréhension des positions des uns et des autres. Cette démarche devrait permettre l’émergence de l’introuvable vérité sur laquelle butte la réconciliation nationale. Delà il sera plus aisé d’imaginer des consensus pour poser le socle de l’unité nationale.
On le voit, le « Manifeste pour l’unité nationale, la paix et le développement » ne cherche pas à être à équidistance entre le pouvoir et l’opposition ou à être un marchepied pour aider à monter ou à descendre du pouvoir mais à mettre en exergue les points de convergence et à minorer les conflits en permettant l’éclosion d’alternatives acceptables par tous ou en tout cas en phase avec les aspirations réelles de notre peuple.
L’exacerbation de la crise nationale au point où on en est à demander la démission pure et simple du président du Faso et où le pouvoir s’arcboute au point de prendre des mesures de restriction sans précédents des libertés, au point où les terroristes sont pratiquement maître des deux tiers du territoire national, au point où la vie chère à atteint un niveau jamais égalé, … est la preuve de la justesse de notre option stratégique.
C’est le lieu de le dire, même la question de la démission du Président du Faso qui est fortement « exigée » par certains Burkinabè peut et doit être débattue puisque prévue dans la Constitution de notre pays. Elle doit être pour cela retirée des mains des extrémistes de tous les bords pour se poser dans un cadre républicain qui garantirait la sauvegarde de l’intérêt national en lieu et place de celui des groupes. Quoique d’une extrême importance elle ne peut justifier ni les excès du pouvoir ni les appels à la sédition de certains. C’est à ce prix qu’on en sortira grandi et plus fort contre les ennemis communs que sont le terrorisme, la vie chère et la mal gouvernance.
Ouagadougou le, 25 novembre 2021
Issaka LINGANI
Président du Comité d’initiative