Depuis le 24 janvier 2022 au Burkina Faso, on a assisté à un changement avec l’arrivée au pouvoir du mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). Quelles sont les raisons entre autres de l’échec du pouvoir de Roch Kaboré ? Pour comprendre, L’InfoH24 s’est entretenue avec le journaliste et écrivain, Serge Daniel. Lisez !
InfoH24 : Des militaires ont mis fin au pouvoir du président Roch Kaboré au Burkina Faso. Selon vous qu’est-ce qui explique cela ?
Serge Daniel : Sur ce départ du pouvoir démocratique en remplacement d’un pouvoir militaire, il y a des causes lointaines et immédiates. Je pense qu’au niveau des causes lointaines, il y a eu une erreur ou du moins le président Roch Kaboré n’avait pas toutes les cartes en mains lorsqu’il était élu. En matière d’analyse, le président pensait que son problème était économique alors qu’il était d’abord sécuritaire. Dans cette lancée, je suis tenté de dire également qu’il y a eu une erreur car il s’est trompé de diagnostic au début de son premier quinquennat.
De quelle erreur s’agit-elle selon vous ?
Il a pensé que c’était des soldats, qu’il y a Blaise Compaoré qui était le déstabilisateur du pays. Non c’était le mouvement pour l’unicité de djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et je l’ai senti trop tôt. Ce mouvement était basé à Gao et il est devenu l’État islamique au grand Sahara. Pire, le mouvement s’est m’extasié vers les trois frontières. Donc on s’est trompé de diagnostic de mon point de vue.
Ces djihadistes du MUJAO devenu Etat islamique étaient en train de s’implanter et à Ouagadougou, les autorités continuaient à dire que ce sont les gens de Blaise. Après la riposte n’a pas été ce qu’elle devait être et aussi il y a eu un maillage conséquent du territoire national. On n’a pas pu protéger les populations.
Dans les causes immédiates, on a aussi le massacre des gendarmes à Inata qui a secoué les esprits. Avec cette affaire, les citoyens ont eu l’impression que leur sécurité n’était pas assurée parce qu’il y a eu des manifestations. Ce sont entre autres les éléments qui ont favorisé la prise du pouvoir par les militaires.
L’armée pourrait-elle faire repartir les déplacés chez eux et permettre au Burkina de retrouver tout son territoire ?
Nous allons suivre très attentivement ce que le nouvel homme fort comme on le dit va faire. Ce nouvel homme fort sait ce que c’est le droit humanitaire. On ne le dit pas assez mais il a fait partie de la MINUSMA au Mali entre 2000 et 2001 du contingent burkinabè. Le droit international c’est quelque chose de très important et il faut le respecter. Ensuite est-ce qu’ils pourront efficacement lutter contre le terrorisme.
Il était quand même à la tête d’une troupe d’élite. Est-ce qu’ils vont changer de stratégie, ce sont les mêmes questions qu’on est en droit de se poser parce qu’une chose effectivement est de faire un coup d’état mais l’autre est de pouvoir ramener rapidement le pays sur les rails de la démocratie. Il n’ y a de démocratie sans élection, ça n’existe pas et de la révolution naitra la démocratie. La révolution peut conduire à la démocratie mais la révolution n’est pas la démocratie. Et donc un coup d’état n’est pas la démocratie même si derrière un coup d’état militaire, il y a toujours un mauvais politicien civil.
Avec ce qui se passe actuellement au Burkina Faso, peut-on parler d’espoir ?
Je ne suis pas un marabout qui sait lire dans les cauris mais on n’a pas besoin d’être un marabout pour lire ce qu’on appelle la prospective qui est une science comme le dit Gaston Bachelard que la prospective c’est le fait non seulement de voir l’avenir mais de voir plus loin. Il y a trois facteurs qui sont déterminants. Regarder comment le coup d’état a été accueillis au Burkina.
Je dirais que le coup d’état n’a pas été rejeté mais n’a pas été fortement applaudis. Je dirais plutôt que les burkinabè ont pris acte du coup d’état. Il faudra pour les nouvelles autorités cette capacité de rassembler d’abord la classe politique, c’est important, de rassembler les militaires et surtout aussi de rassembler tous les burkinabè. Et c’est à ce moment qu’on va voir la trajectoire que va prendre cette transition. C’est à ce moment que je pourrais m’exprimer de manière plus précise.
Est-ce que le phénomène peut-il contaminer d’autres pays ?
Je ne sais pas si on peut le dire chaque pays à ses réalités, je vois vers qui est tourné votre regard. On a aujourd’hui au sein du G5, trois coups d’état notamment au Mali, le Burkina et le Tchad. Donc trois pays du G5 ont connu des coups d’État. On a un quatrième qui est dirigé par un militaire Mohammed Ould Ghazouani en Mauritanie qui a été élu démocratiquement et le Niger qui est dirigé par un civil Mohamed Bazoum.
Trois pays du G5 où il y a eu des coups d’État, cela doit faire réagir parce que le problème est sécuritaire. Revenant sur le cas du Burkina, rien ne pourra se faire au Burkina sans une unité sacrée. L’unité sacrée ce n’est pas autour de l’homme fort mais autour de la question centrale. Comment sortir le Burkina Faso de la crise.
Le président Roch était affaibli parce qu’il était en train de finir son dernier mandat. Mais si on se souvient lors du premier mandat il y a eu quand même un bilan difficile sur le plan sécuritaire. Ce qui n’a pas empêché le président d’être réélu. Donc ce n’est pas forcément que vous avez un bon bilan qui vous êtes réélu. Il y a une réalité sociologique que je ne vous apprends pas qui fait que vous êtes réélu. Maintenant ce qu’il faut souhaiter c’est une unité sacrée autour de la question fondamentale, comment faire pour s’en sortir.
Si on se pose ces questions et on appelle tout le monde ça doit pouvoir marcher. On sait que l’opposant principal Zéphirin Diabré était ministre chargé de la réconciliation. Et l’impression qu’on avait est-ce qu’il avait la marge de manœuvre nécessaire pour aller vers cette réconciliation nationale. Au Mali par exemple, il y a eu l’assassinat des bérets rouges. Les personnes qui ont été soupçonnées ou accusées d’être les auteurs. Il n’y a pas eu de jugement parce qu’on a trouvé un gentleman’s agreement.
On a dédommagé les familles qui ont pardonné et ça c’est dans le cadre de la réconciliation nationale. Ce qui signifie dans le cadre cette réconciliation, on a des solutions courageuses à prendre. Quand les militaires se rendent compte généralement que tous les politiciens sont unis, sont le même marigot, ils ne font pas de coup d’État. Mais quand ils voient que les politiciens sont divisés, cela favorise les coups d’État.