La chambre de jugement du tribunal militaire de Ouagadougou a rendu son délibéré le 6 avril 2022 dans le cadre du procès de l’assassinat du président Thomas Sankara et ses 12 compagnons. A la suite, le collectif des avocats a animé une conférence de presse ce 7 avril et disent « prendre acte » de la décision du juge. Voici la déclaration d’avant échanges avec les journalistes.
Je voudrais, au nom de mes confrères et de mes consœurs prendre la parole pour avant toute chose saluer et reconnaître l’action de la presse nationale et internationale qui a été omniprésente à nos côtés et aux côtés des familles du Président Thomas SANKARA et de ses compagnons durant les vingt-cinq (25) années qu’ont duré les procédures judiciaires suite à la plainte de la veuve Mariam SANKARA et ses enfants Auguste et Philippe datée du 29 septembre 1997 et objet de l’ordonnance du doyen des Juges d’instruction en date du 09 octobre 1997.
Permettez-moi également de saluer tous les efforts du Comité International Justice pour Thomas SANKARA et du Professeur Aziz FALL et les efforts de tous ceux qui, dans l’ombre comme au grand jour ont mené le même combat que nous pour la manifestation de la vérité dans l’assassinat ignoble et crapuleux du Président Thomas SANKARA suivi du massacre de 12 de ses compagnons et de bien d’autres personnes comme les suppliciés de Koudougou et que sais-je encore ?
Mesdames et Messieurs les journalistes,
L’Avocat est un auxiliaire de justice qui concourt à la manifestation de la vérité et dont le serment fait de lui le défenseur sacerdotal de la veuve et de l’orphelin. L’Avocat est un praticien du droit porteur des vertus de la société dont la mission essentielle est la défense de l’homme dont les droits sont souvent remis en cause par d’autres hommes, étant entendu que l’homme est un loup pour l’homme.
La mission de l’Avocat n’est point ni de ruser avec la loi ni de tromper le juge ou de chercher à l’induire en erreur. Sa mission, c’est de concourir à la manifestation de la vérité.
C’est pourquoi, notre attachement inébranlable au procès équitable où sont respectés les droits de la défense, la présomption d’innocence et le principe du contradictoire, choses pour lesquelles nous en faisons toujours, que l’on soit de la partie civile ou de la défense, un préalable indiscutable de notre profession afin que le droit soit dit dans toute sa rigueur et quelle qu’en soit la juridiction.
Le procès se définissant comme étant l’ensemble des règles et des formes qui conduisent à la décision valable du juge depuis sa saisine, nous nous sommes volontiers prêté à cet exercice d’une durée inhabituelle et si longue qui nous faisait dire chaque fois qu’aussi longue est la nuit, le jour viendra pour paraphraser notre regretté confrère Dieudonné Nkounkou.
Aussi, tirant les enseignements du Président Thomas SANKARA qui disait que « Là où s’abat le découragement, c’est là où s’élève la victoire des persévérants » Eh bien ! Nous avons persévéré malgré l’adversité et les multiples difficultés pendant vingt-cinq (25) ans durant lesquels nous avons mené toutes sortes de procédures tant au plan national qu’au plan international, aussi bien devant les juridictions civiles que militaires.
Sans relâche et avec vaillance, simplement guidés par notre mission d’obtenir la vérité et rien que la vérité, le procès contre Blaise COMPAORE dit Jubal et autres, poursuivis pour attentat à la sûreté de l’Etat, assassinats, complicités d’assassinats, recel de cadavres, faux en écriture publique vit enfin le jour malgré toutes les vicissitudes et les péripéties qu’on n’ose pas imaginer. Le procès qui, enfin s’ouvrit le 11 octobre 2021 a connu son épilogue le 06 avril 2022 avec la décision suivante, rendue après presque six (6) ans d’instruction (du 06 mars 2015 au 07 octobre 2020, soit cinq (05) ans et sept (07) mois) et six (06) mois de plaidoiries à savoir :
« Statuant publiquement, par défaut à l’égard de COMPAORE Blaise et de KAFANDO Tousma Yacinthe, contradictoirement à l’égard de BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi, DEME Djakalia, DIEBRE Alidou, Jean Christophe DIENDERE Gilbert, KAFANDO Hamado, ILBOUDO Yamba Elysée, OUEDRAOGO Nabonssouindé, OUEDRAOGO Tibo, PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre, SAWADOGO Idrissa, TONDE Ninda dit Pascal et TRAORE Bossobè, en matière criminelle et en premier ressort :
Déclare, relativement aux faits de faux en écriture publique ou authentique reprochés aux accusés DIEBRE Alidou Jean-Christophe, KAFANDO Hamado et aux faits de recel de cadavres reprochés aux accusés COMPAORE Blaise et DIENDERE Gilbert, l’action publique éteinte à leur égard pour cause de prescription ;
Acquitte l’accusé TRAORE Bossobè des chefs de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et de complicité d’assassinat pour infractions non constituées ;
Acquitte l’accusé DIENDERE Gilbert du chef de subordination de témoin pour infraction non constituée ;
Déclare l’accusé TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba coupable des fait de subordination de témoin à lui reprochés ;
Déclare les accusés BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi, DEME Djakalia, OUEDRAOGO Tibo, PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre, ILBOUDO Yamba Elysée, SAWADOGO Idrissa et OUEDRAOGO Nabonssouindé, coupables des faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat qui leur sont reprochés ;
Déclare les accusés KAFANDO Tousma Yacinthe, ILBOUDO Yamba Elysée, SAWADOGO Idrissa ET OUEDRAOGO Nabonssouindé, coupables des faits d’assassinat à eux reprochés ;
Déclare les accusés COMPAORE Blaise, DIENDERE Gilbert et KAFANDO Tousma Yacinthe coupables des faits d’attentat à la sûreté de l’Etat qui leur sont reprochés ;
Déclare les accusés COMPAORE Blaise et DIENDERE Gilbert, coupables des faits de complicité d’assassinats à eux reprochés ;
En répression, condamne :
– BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi et DEME Djakalia à cinq (05) ans d’emprisonnement assortie du sursis chacun ;
– TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba à trois (03) ans d’emprisonnement ferme ;
– OUEDRAOGO Tibo et PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre à dix (10) ans d’emprisonnement ferme chacun ;
– ILBOUDO Yamba Elysée à onze (11) ans d’emprisonnement ferme ;
– SAWADOGO Idrissa et OUEDRAOGO Nabonssouindé à vingt (20) ans d’emprisonnement ferme chacun ;
COMPAORE Blaise, DIENDERE Gilbert et KAFANDO Tousma Yacinthe à la peine d’emprisonnement à vie chacun ;
Prononce la déchéance des décorations de tous les accusés condamnés ayant bénéficié d’une ou de plusieurs distinctions honorifiques ;
Dit que le présent jugement vaut titre de détention pour les accusés condamnés à une peine privative de liberté non couverte par la détention provisoire conformément aux dispositions de l’article 315-14 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale ;
Décerne contre TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba, mandat de dépôt conformément aux dispositions de l’article 315-14 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale ;
Dit que les mandats d’arrêt décernés contre COMPAORE Blaise et KAFANDO Tousma Yacinthe sont maintenus et ce en application des dispositions de l’article 261-128 alinéa 4 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale ;
Sans désemparer, le Président a averti les parties qu’elles avaient un délai de quinze (15) jours francs à compter du prononcé du présent jugement, pour interjeter appel, conformément aux dispositions de l’article 317-9 du Code de procédure pénale ;
Met les dépens à la charge des accusés condamnés. »
En effet, la chambre de jugement du Tribunal Militaire de Ouagadougou vient ainsi d’inscrire dans l’histoire judiciaire du Burkina Faso en lettres d’or le nom du juge Urbain MEDA et celui de tous les membres de la chambre qui, pour la postérité ont courageusement dit le droit et rendu la justice au nom du peuple burkinabè.
Cette décision, si elle est une victoire, elle est le mérite d’abord de notre cliente principale, Madame Mariam SANKARA dont il faut saluer le courage, la bravoure et l’abnégation. Ensuite, elle est le fruit du combat de tous les hommes et femmes épris de justice, de vérité, de paix et de liberté comme valeurs cardinales de la dignité humaine.
Enfin, cette victoire, il faut la dédier à la presse dont le rôle a été déterminant dans la recherche et la manifestation de la vérité sur l’assassinat du Président Thomas SANKARA et de ses compagnons.
Permettez-moi alors, au nom des familles et celui de mes confrères, d’exprimer à l’ensemble des médias notre profonde reconnaissance pour cet accompagnement constant au nom de la liberté ET DE LA JUSTICE.
Mesdames et Messieurs les journalistes,
C’est de ce qui précède que nous, Avocats de la partie civile, constitués aux côtés de Mariam SANKARA et de ses enfants, prenons acte de la décision rendue le 06 avril 2022 par la chambre de jugement du Tribunal Militaire de Ouagadougou.
Aussi, nous nous félicitons des résultats auxquels nous sommes parvenus grâce à un travail d’équipe fait avec méthode dans la confraternité et dans l’engagement des Avocats qui ont vu à travers le procès Thomas SANKARA la défense au-delà des intérêts familiaux, d’une cause : celle de la liberté africaine et la lutte contre l’impunité.
Certes que beaucoup de zones d’ombre existent encore, notamment au plan des complicités internationales et il est également vrai que les véritables auteurs Blaise COMPAORE et Yacinthe KAFANDO ont pu fuir leur pays pour tenter de se dérober à la justice, mais l’aspiration essentielle du peuple burkinabè et africain et de l’opinion en général est atteinte en ce sens que la vérité a vu le jour.
« Aussi longue est la nuit, le jour viendra »
C’est donc sans présager des recours éventuels des accusés, que nous apprécions cette décision sous l’angle strictement du droit qui a été dit et la justice rendue dans un procès équitable et conforme aux normes internationales. Nous prenons également acte des sanctions qui ont été prononcées contre certains accusés à la hauteur des crimes abominables par eux commis.
Je vous remercie.