La Côte d’Ivoire a offert du matériel militaire au Burkina Faso dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. L’information, donnée par Radio Oméga, a aussi circulé sur les réseaux sociaux et reprise par des médias depuis bientôt deux semaines. Pendant plusieurs jours, les autorités des deux pays ont gardé le silence. Pourquoi ? Il a fallu que le président de la Transition soit interpellé pour qu’il le confirme, visiblement malgré lui, puisque la Côte d’Ivoire n’aurait pas voulu qu’on en parle. Oui, le Burkina Faso reçu du matériel militaire venant de la lagune Ebrié. Mais la Côte d’ivoire étant soupçonnée d’être un « valet local » de l’impérialisme français, son don met mal à l’aise certains Burkinabè anti-impérialistes. L’on a ainsi glissé dans un débat entre pro et anti français, pro et anti don.
Depuis le samedi 18 mars 2023, l’information sur l’affaire du don de matériel militaire par la Côte d’Ivoire au Burkina Faso a provoqué une vraie polémique sur les réseaux sociaux et dans certains médias. C’est Radio Oméga qui, la première, a rendu publique cette information relayée par d’autres médias. 1.000 kalachnikovs, 100 000 munitions, une cinquantaine de pick-up, c’est la liste du matériel en question évalué à 2,3 milliards de FCFA (3,5 millions d’euros). L’information a ensuite été reprise par RFI, citant des sources proches ivoiriennes. Les médias précisent que le don s’est déroulé « en toute discrétion en janvier et février ». Il n’en fallait pas plus pour que les réseaux sociaux, les groupes WhatsApp et Telegram s’enflamment.
Les pro-russes contre-attaquent
Une partie de l’opinion nationale, se réclamant des pro-russes, ne voulaient pas entendre parler de la Côte d’Ivoire, de son président Alassane Dramane Ouattara et surtout pas de cette affaire de don. Accusé d’être le gardien du pré-carré français en Afrique de l’Ouest, le président ivoirien devrait, selon, les audios et autres réactions des russophiles, s’éloigner des affaires de la transition burkinabè. Ainsi, pour eux, la proximité d’Abidjan avec Paris la disqualifie de parler des affaires du Faso. D’où le malaise autour du don ivoirien. Des activistes se réclamant des soutiens de la transition pro-russes ont tenté de nier tout en bloc dans un premier temps, pour, dans un second temps, tenter de manipuler l’information en affirmant qu’il s’agirait de « matériel militaire commandé par le Burkina Faso » mais bloqué au port à Abidjan. Pour eux, ce serait donc du matériel appartenant au Burkina qui étaient bloqué en Côte d’Ivoire qui a été restitué. Sur certaines pages et profils qui semblent « accepter » ce don, visiblement malgré eux, ils suggèrent de se méfier du matériel en question au prétexte que c’est la France qui serait derrière ce don et aurait placé des puces sur ce matériel afin de donner les positions des Forces armées burkinabè aux terroristes. Chacun y allait de son argument.
La radio Oméga qui a diffusé l’information au plan national pour la première fois a été la cible de menaces. Le journaliste Lookman Sawadogo de la télévision privée LCA, qui avait affirmé également qu’il y a eu don a subi le courroux de certains citoyens. Ces derniers ont menacé le journaliste et sa famille dans des termes très violents à travers des audios largement relayés. Les moins virulents ont fini par concéder qu’il y a eu don, mais en silence.
Tout ça pour ça ?
Il a fallu que le porte-parole du gouvernement ivoirien soit interpellé sur la question par une journaliste au sortir du conseil des ministres du 22 mars 2023, pour avoir la première réaction officielle d’une autorité. Le ministre porte-parole du gouvernement ivoirien s’est d’abord étonné que la journaliste soit affirmative pour ensuite confirmer l’information non sans avoir usé de contorsions politico-diplomatiques. D’entrée, le porte-parole du gouvernement ivoirien soutient qu’« aucun pays ne peut lutter seul contre le terrorisme. C’est un combat asymétrique qui nécessite une grande solidarité des différents pays et je pense que si la Côte d’Ivoire l’a fait, c’est dans ce cadre-là et la Côte d’Ivoire est pleinement dans son droit de le faire puisqu’elle est conforme à toutes ces indications, à toutes ces recommandations de la communauté internationale ».
Le président de la transition a tranché
A Ouagadougou, les plateaux de débats et les groupes sur les réseaux sociaux (facebook, whatsApp, telegram) ne tarissaient pas d’arguments autour de cette affaire. Pour les uns, si le gouvernement de la transition n’en dit pas mot, cela pourrait justifier un don d’un voisin taxé de connexion avec la France impérialiste « chassée » du Burkina Faso. Ne rien dire sur cette affaire de la part du gouvernement est aussi incompréhensible pour un pouvoir qui ne fait pas dans la dentelle quant à la médiatisation du moindre geste de don ou de solidarité de la part des partenaires internationaux. Ce silence pourrait également, expliquer une information infondée que la transition laisse couler. Ce qui serait curieux pour un gouvernement qui sollicite régulièrement l’accompagnement de la population.
Un peu moins d’une semaine après la divulgation de l’information, l’on a commencé à avoir de l’éclaircie. En effet, à Ouagadougou, aucune autorité ne s’était prononcée publiquement sur le sujet pendant que certaines sources affirment que Ouagadougou aurait même envoyé une lettre de remerciement après la remise du matériel. Certaines sources militaires contactées, disaient non seulement ne pas vouloir en parler mais aussi, ne veulent pas évoquer la question. Malaise ? Omerta ? Quoi qu’il en soit, c’est le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré himself qui a clos le débat à Kaya le 23 mars 2023 lors d’une visité effectuée dans la région.
« Pour le cas de la Côte d’Ivoire, nous avons dit que nous voulons bien, mais nous sommes limités par les moyens ». L’on comprend donc que le Burkina Faso a fait une demande d’aide dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, une demande qui a eu de l’écho du côté d’un « valet local de l’impérialisme ». Le président, selon nos confrères de radio Oméga a confié que des véhicules ont été remis à des « unités avec un peu d’armement depuis le mois de janvier ou décembre » et « ces unités sont stationnées dans la zone de Banfora jusqu’à la frontière ivoirienne ». Le président de la transition a d’ailleurs salué cette initiative puisque pour lui, « si la Côte d’Ivoire a décidé d’appuyer ces unités pour mener des opérations à sa frontière, c’est très bien. Cela empêche que cette zone soit infestée ». Néanmoins, « le plus important c’est que nous comptons sur nous-mêmes », rapportent nos confrères de Oméga.
Quand on suit la débauche d’énergie autour de ce don ivoirien et le semblant de dénouement observé, l’on est tenté de se dire, tout ça pour ça. Quid de ceux qui ont proféré des menaces à l’encontre des médias, des journalistes et de leurs concitoyens ?
En tous les cas, le Burkina et la Côte d’Ivoire sont liés à jamais par l’histoire et la géographie avec une forte interpénétration des populations des deux côtés. L’on ne peut qu’espérer que ce don puisse davantage raffermir les liens et servir de départ pour un soutien plus conséquent et régulier dans la guerre contre les forces du mal.