Dans la déclaration qui suit, le Front patriotique réagi dans le cadre des prochaines Assises nationales sur la Transition au Burkina Faso et fait des propositions.
Réunis en séance plénière le 26 avril 2024, les députés de l’Assemblée Législative de Transition (ALT) ont adopté la proposition de loi portant accord pour l’organisation des assises nationales.
Cette proposition donne quitus au gouvernement de « convoquer les forces vives de la Nation dans le cadre des Assises nationales » qui doivent « délibérer sur la suite de la Transition » et être organisées au plus tard « un mois avant la fin de la transition », fixée au 1er juillet 2024 par la charte de la Transition.
Cette proposition survient non seulement à deux mois de la fin officielle de l’actuelle Transition, mais aussi à une période où plusieurs organisations s’expriment de manière très critique sur l’évolution de la situation nationale, marquée par des atteintes aux droits et à la liberté des citoyens et sur l’effondrement de la situation économique.
La tenue d’Assises nationales correspond à une proposition faite régulièrement par le Front Patriotique (FP), notamment dans sa Lettre ouverte du 22/05/23 au Président de la Transition, dans laquelle il demandait de :
- « Mettre en place des groupes de travail pour réfléchir aux propositions de réformes politiques, administratives, institutionnelles, sociales et électorales endogènes ;
- Convoquer dans les plus brefs délais de nouvelles Assises nationales inclusives avec la participation des forces sociales légitimes et représentatives, pour une Transition inclusive et plus consensuelle. »
Dans le bilan qu’il faisait en octobre 2023 de l’An 1 du MPSR-2, le Front Patriotique recommandait de nouveau de « convoquer dans les plus brefs délais de nouvelles assises nationales inclusives avec la participation des forces sociales légitimes et représentatives, pour une Transition inclusive et plus consensuelle ».
Au regard des dérives observées au cours de l’évolution de cette transition, le Front Patriotique estime qu’un préalable est exigé avant la convocation des assises nationales. Il s’agit :
-de la levée de suspension sur l’interdiction des activités des partis politiques et des organisations de la société civile ;
-de la libération de tous les citoyens (civils comme militaires) détenus au secret ;
-du retour des citoyens envoyés au front pour leurs opinions ;
-de l’exécution des décisions de justice.
Par ailleurs, deux choses au moins méritent d’être également clarifiées :
- les objectifs de ces Assises nationales et
- la composition des « forces vives » qui y seront présentes.
SUR LES OBJECTIFS DES ASSISES NATIONALES
Contrairement à ce que pensent certains esprits simplistes, les Assises nationales ne devraient pas seulement discuter de la nouvelle date limite à fixer pour la fin de la Transition, en laissant celle-ci se poursuivre dans l’opacité et le secret comme elle se déroule depuis dix-huit mois. Ces assises devraient commencer par en faire le bilan, notamment par rapport aux missions essentielles que la Transition s’était données en s’installant en octobre 2022, à savoir :
- « Rétablir et renforcer la sécurité sur l’ensemble du territoire national ;
- Apporter une réponse urgente, efficace et efficiente à la crise humanitaire ;
- Promouvoir la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ;
- Engager des réformes politiques, administratives et institutionnelles en vue de renforcer la culture démocratique et consolider l’Etat de droit ;
- Œuvrer à la réconciliation nationale et à la cohésion sociale ;
- Assurer l’organisation d’élections libres, transparentes, équitables et inclusives ».
Manifestement, très peu de choses ont été réalisées au titre des « missions essentielles » n°3, 4, 5 et 6. Les bilans correspondant paraissent à priori si insignifiants qu’il est inutile de les évoquer.
En s’installant à la tête de la Transition et du pays en octobre 2022, le MPSR-2 avait laissé entendre qu’en trois (3) mois, le problème sécuritaire pourrait être résolu. C’était là faire preuve d’une grave insuffisance d’appréciation de la situation. Dix-huit (18) mois plus tard, où en sommes-nous ? Certes, chacun peut reconnaitre qu’il y a eu une réorganisation plus efficace de l’armée et un net renforcement de ses moyens et de ses capacités, permettant d’assurer le retour chez eux d’une partie des personnes déplacées internes (PDI). Mais combien de temps faudra-t-il encore pour reconquérir et établir la paix sur tout le territoire national ? Il est important de le savoir car la réponse conditionne « la suite de la Transition ».
Où en sommes-nous de la crise humanitaire, conséquence directe de la crise sécuritaire ?
Ce sont en effet les massacres commis par les groupes terroristes dans les villages sans défense, ainsi que leurs menaces, qui ont poussé plus de deux millions (2 000 000) de PDI à se réfugier dans les chefs-lieux de communes et les principales villes du pays, tandis que des dizaines de milliers d’autres devenaient des réfugiés dans des camps du HCR (Haut-commissariat aux réfugiés) établis dans certains pays voisins (Côte d’Ivoire, Mali, etc.). Avec l’amélioration de la situation, une partie de ces déplacés a pu regagner ses villages. Malgré l’organisation de convois de ravitaillement protégés, de nombreuses communes connaissent des difficultés d’approvisionnement et frôlent même la famine comme le prouvent les manifestations de certaines populations (Ouahigouya, Djibo, Diapaga, Kantchari, etc.). Ces difficultés sont évidemment, en grande partie (mais en partie seulement), directement liées à la crise sécuritaire. La question doit donc être ici répétée : combien de temps faudra-t-il pour « apporter une réponse urgente, efficace et efficiente à la crise humanitaire » ?
Des réponses précises à ces questions, devrait dépendre la « suite de la Transition », tant dans son format (missions, organisation, responsables, gouvernement, etc.) que dans sa durée. Si elles ne peuvent être apportées, il faut conclure que le changement par la force du régime civil, le sacrifice de la Constitution, des libertés, des droits et de la justice sur l’autel de la sécurité, ne sont guère la solution pour résoudre des questions qui touchent à l’existence même de l’Etat et à son fonctionnement efficace.
Dans sa forme autoritaire et messianique actuelle, la Transition en cours est loin d’avoir atteint ses objectifs. Il faut penser à une nouvelle Transition, plus consensuelle, plus rassembleuse, plus légitime et plus efficace.
Plus largement les Assises nationales pourraient convenir de :
- créer un Conseil consultatif des forces sociales souveraines à la légitimité avérée ;
- écrire une nouvelle Charte pour une nouvelle Transition politique inclusive, consensuelle et populaire et qui serait assortie d’un nouveau contrat social pour porter remède à la crise humanitaire, aux graves fractures sociales liées à la crise sécuritaire et pour assurer la réconciliation nationale ;
- œuvrer pour un Pacte républicain de défense et de sécurité nationale réorganisant notre armée, légitimant définitivement nos VDP, sur des bases républicaines et selon les principes d’une politique de défense populaire ;
- établir les mécanismes d’un contrat moral de gouvernance politique, liant l’État, son administration et la société en général, en vue d’un retour de la confiance entre le peuple et ses dirigeants, et définissant les moyens de remédier à l’aggravation des contradictions, révoltes et autres conflits violents ;
- définir les bases et les mécanismes de l’indépendance et de la souveraineté affirmées du Burkina Faso dans les relations internationales à travers un engagement panafricain actif pour l’unité entre les peuples.
SUR LA COMPOSITION DES PARTICIPANTS AUX ASSISES NATIONALES
La proposition de loi des députés donne au Président de la Transition l’accord de l’ALT pour convoquer les « forces vives » du pays pour des Assises nationales.
Mais que faut-il comprendre par « forces vives » ? En 2022, le MPSR-2 avait composé ainsi qu’il suit les 354 membres des « forces vives » invitées aux Assises nationales du 14 octobre 2022, chargées d’adopter la « Charte de la Transition » et de désigner le Président de la Transition :
- 100 représentants pour le MPSR (dont 78 civils) ;
- 45 représentants de l’armée (de terre, de l’air, des pompiers et de la gendarmerie) ;
- 20 représentants pour la Brigade des VDP ;
- 45 représentants pour les forces paramilitaires (Police, GSP, Douanes, Eaux et Forêts) ;
- 10 représentants pour les autorités coutumières et 11 pour les autorités religieuses (total 6%) ;
- 10 représentants pour la jeunesse et 5 pour les femmes (total 4%) ;
- 13 représentants des organisations faitières de l’économie (Chambre de commerce et d’industrie (CCI), Chambre nationale d’agriculture (CNA), Confédération paysanne du Faso (CPF), Economie informelle, Bétail-viande) ;
- 30 représentants (8,5%) pour les partis politiques, avec une répartition singulière (ex-majorité, autres de l’ex-majorité, ex-opposition, ex-opposition non affiliée) ;
- 10 représentants (3%) des syndicats de travailleurs ;
- Etc.
Seules 24 femmes (7%) ont participé à ces Assises.
On peut se demander quelle compréhension de la société burkinabé avait guidé cette composition et cette répartition des « forces vives » dans laquelle les FDS (militaires, paramilitaires et VDP) représentent plus de la moitié des participants, tandis que les autorités coutumières et religieuses étaient représentées par 6%, les partis politiques par 8,5% et les syndicats de travailleurs par 3% !
Pour le Front Patriotique, les prochaines Assises nationales pourraient regrouper à parts équivalentes :
- Les représentants des forces sociales légitimes et représentatives (autorités coutumières, autorités religieuses, centrales syndicales) parmi lesquels pourraient être choisis un Président et deux (2) vice-présidents des Assises ;
- Les représentants des forces économiques (Patronat, Chambres de commerce et d’industrie, Chambres nationales d’agriculture, syndicats nationaux de commerçants, d’agriculteurs ou d’éleveurs);
- Les représentants des formations politiques reconnues qui se sont distinguées dans le passé comme les plus représentatives;
- Les représentants des ONG, OSC et organisations sociales représentatives et reconnues;
- Les représentants des organisations de jeunesse et des organisations de femmes à la condition qu’elles soient démocratiques, représentatives et reconnues;
- Les représentants des institutions qui sont les bras exécutifs de l’État (Forces armées, forces paramilitaires, VDP, Administrateurs des circonscriptions);
- Les représentants des institutions appelées à réguler le fonctionnement de l’Etat (magistrature, avocats, juristes, parlement, médias,…..) parmi lesquels pourraient être désignés un secrétaire et un secrétaire adjoint des Assises;
- Les représentants des corps essentiels pour le développement de la Nation (enseignants, ingénieurs, chercheurs, personnel médical, financiers, informaticiens, innovateurs,…….) au sein desquels pourraient être choisis un rapporteur et un rapporteur adjoint.
Les Assises nationales seraient ainsi l’occasion de réunir tous ceux qui sont actifs pour la renaissance de la Nation. Elles pourraient peut-être alors devenir comme le souhaitait dès sa naissance le Front patriotique, « une opportunité pour jeter les bases d’une nouvelle société, répondant aux aspirations profondes de notre peuple à la sécurité, à la paix, à la justice, à la démocratie et au développement ».
Quand le peuple gagne, personne ne perd !
Ouagadougou le 07/05 2024
Pour le Front Patriotique
Le Coordonnateur
Germain Bitiou NAMA