Le pays des hommes intègres depuis le 24 janvier 2022 est sous la direction du mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), piloté par le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba. Cette prise du pouvoir par la force a été applaudie par certains burkinabè. D’autres au contraire qualifient l’acte de recul démocratique. Devant ces divergences, L’InfoH24 a choisi de tendre son micro au médecin Anesthésiste Réanimateur au CHU de Bogodogo, écrivain et acteur de la société civile, Dr Arouna Louré pour recueillir son point de vue.
InfoH24 : Le 24 janvier 2022, le Burkina Faso est dirigé par des militaires. Quelle appréciation faites-vous de cette situation ? Selon vous cette situation était inévitable au regard de ce que le pays traversait ?
Dr Louré : Tenant compte du contexte dans lequel notre patrie était, il nous fallait impérativement mettre fin à l’hécatombe. J’aurai certes préféré une révolution populaire qui aurait confirmé la maturité socio-politique de notre peuple. Mais qu’à cela ne tienne, je crois que l’avènement des militaires au pouvoir est le moindre mal pour notre pays vis-à-vis de l’insécurité, de la corruption, du vol, de la gabegie et des mesures liberticides que nous vivions sous le régime Kaboré.
À mon avis, cette situation était évitable. Nous l’avons souvent répété, la seule manière pour un dirigeant de parer à un coup d’état et même une insurrection, est la gestion patriotique et intègre des affaires de l’État. Le régime Kaboré aurait eu la décence de prendre les plaintes du peuple en compte, et mettre un terme à cette mauvaise gouvernance qui était devenue un vrai fléau, que nous n’aurions pas vécu ce coup de force.
On a finalement des militaires au pouvoir, qu’est-ce vous attendez d’eux ? Selon vous est-ce qu’on ne pouvait pas trouver un autre scénario autre que le coup de force ? Soutenir de tel acte dans la vie d’une nation n’est pas remettre en cause la démocratie ?
J’attends des militaires une gestion patriotique et intègre de notre pays afin que le Burkina Faso soit un État nation de paix et de prospérité bâti sur les socles d’une société plus juste et plus équitable. J’attends d’eux qu’ils soient eux-mêmes les modèles types du BURKINABÈ que nous voulons : patriotes, intègres, travailleurs, courageux et solidaires.
Un autre scénario à ce coup d’État aurait été une révolution populaire, comme je le disais tantôt. Cependant, avec ma petite expérience du terrain, les Burkinabè peinent à avoir un modèle qui puisse rassembler et être porteur de ce rêve. Aujourd’hui, aussi bien les partis politiques, les organisations de la société civile et le monde syndical peinent à s’organiser afin de mener cette révolution populaire et réformer fondamentalement notre société.
Concernant le recul démocratique, je pense qu’il n’en est rien. Nous aurions été dans un pays réellement démocrate que jamais nous n’aurions eu de coup d’État. Ce que nous nous plaisons à appeler démocratie n’est rien d’autre qu’un montage de corruption et d’injustices sociales et politiques. Le coup d’État n’est que la conséquence justement de l’absence de démocratie vraie. Lorsque nous aurions une vraie démocratie, personne ne pourra faire un coup d’État. L’exemple c’est la résistance populaire en 2015 contre le coup d’État du Général Diendéré.
Vous avez tiré la sonnette d’alarme sur la situation à l’ancien pouvoir, vous n’avez pas été écouté. Votre objectif est-il atteint ?
Non, mon objectif n’est absolument pas atteint. Car au-delà de tirer la sonnette d’alarme à l’égard de l’ancien pouvoir vis-à-vis de la mal gouvernance, mon objectif fondamental est de voir un Burkina Faso de paix et de prospérité : un Burkina Faso plus juste et plus équitable où chaque citoyen se sentira appartenir à un état nation ; où les gouvernants savent qu’ils sont au service du peuple et non le contraire.
Pour certains, le diagnostic du pays est déjà connu donc on a plus le temps pour faire des concertations. Etes-vous de cet avis ?
Je ne suis pas forcément du même avis, quoiqu’il ne faille non plus pas en abuser. Ce que nous ignorons parfois, c’est qu’une chose est de prendre le pouvoir (ce qui est la partie la plus facile d’ailleurs) et une autre est d’instaurer une bonne gouvernance et vertueuse en faveur du peuple, tout en déjouant les intérêts perfides de certaines personnes (le vrai combat et le plus dur). De même, il n’est pas évident que les militaires maîtrisent les rouages administratifs de notre pays. Ainsi, ils doivent garder l’écoute sans vraiment perde du temps au vu de l’urgence de la situation, mais surtout au vu de l’impatience du peuple Burkinabè qui a soif de l’équité et de la justice sociales.
Doit-on demander des comptes à ceux qui étaient aux affaires avant de commencer le travail pour redresser ce pays.
Cela est un impératif absolu. Il ne s’agit nullement d’une chasse aux sorcières, mais de la redevabilité vis-à-vis de leur gestion des affaires de l’État. À mon sens, il est absolument nécessaire de faire un audit externe de toutes les grandes institutions de notre pays. Cela doit porter au moins 5 ans en arrière, voire plus, en fonction de notre capacité à le réaliser. Cela aura deux conséquences. La première est que l’impunité n’est pas permise ; et la seconde, permettre à l’État de renflouer ses caisses en récupérant ce qui lui a été pris frauduleusement.
Que faut-il faire selon vous pour rétablir la confiance entre gouvernant et gouverné ?
Cela est simple. Avoir des gouvernants vertueux, intègres, patriotes, travailleurs, courageux et solidaires. Ainsi, ces gouvernants pourront non seulement rétablir aisément la confiance, mais également imposer ses vertus au reste du peuple.
Quel est selon vous le premier acte posé par les militaires qui montrent une volonté de changer avec les anciennes pratiques.
Il est peut-être un peu tôt de juger, mais quoique je reste foncièrement optimiste, j’attends encore, pas un acte, mais des actes fondamentaux qui puissent me convaincre que nous sommes en train de changer de cap.
Avec des militaires au pouvoir quelle garantie avez-vous sur une transition générationnelle avec des hommes et des femmes intègres, patriotes et désintéressés aussi bien au sein des forces de défense et de sécurité qu’au niveau de la classe politique Burkinabè.
Dans la vie il n’y a aucune garantie, voilà pourquoi nous devons nous battre au quotidien pour l’idéal que nous avons. À la question de la transition générationnelle au sein des forces de défense et de sécurité, de même qu’au sein de la classe politique, j’ose espérer que notre génération saisira cette opportunité pour ce renouveau sans exclure systématiquement les hommes et les femmes intègres, patriotes et désintéressés des générations antérieures. Forgés par notre fougue, notre vivacité et notre énergie, si nous parvenons à conjuguer cela avec la sagesse et l’expérience de certains aînés intègres et patriotes, nous pourrions relever les grands défis qui s’imposent à notre génération.
Que répondez-vous à ceux qui disent, que vous cherchez une porte d’entrée en politique ?
Je ne cherche pas une porte d’entrée en politique, je suis déjà en politique. Ce que je fais et dit est hautement politique. Si c’est pour parler de la politique politicienne, je ne suis pas animé par cela. Ma politique, c’est la conviction selon laquelle nous devons nous battre d’une manière ou d’une autre pour le peuple. J’ai commencé en écrivant un livre « Burkindi pour une révolution nouvelle » ensuite en dénonçant et en faisant des propositions dans les différents médias ; hier j’étais dans les rues au péril de beaucoup de choses, et demain si j’ai la possibilité de participer à la prise des décisions capitales pour notre patrie, je le ferai avec patriotisme et intégrité. Je n’ai point de langue de bois vis-à-vis de cette question.
Voulez-vous faire partie de la gestion des affaires dans une probable transition par exemple ? Voulez-vous virer en politique et déposer la tenue blanche.
Je ne peux vraiment déposer la blouse blanche, car elle fait partie de moi. Cependant si demain je crois que j’aurai plus d’apports en étant dans les prises de décisions, sans hésiter, je le ferai. Le plus important étant de mettre à chaque fois l’intérêt supérieur de la nation en avant.
Que répondez-vous à ceux qui disent que la théorie avec les publications sur votre page Facebook est différente de la réalité sur le terrain. Pour eux d’autres avant vous ont parlé mais arriver aux affaires, ils ont été méconnaissables en ce qui concerne l’intérêt général.
Cela est une inquiétude qui m’anime également. Pourrai-je faire vraiment mieux que ces personnes ? Cette question me pousse à me cultiver davantage, à affermir mes convictions davantage, à écouter davantage, à écrire davantage, mais aussi à prier davantage. Car à un certain moment de notre histoire, il faut que certains réussissent où beaucoup ont échoué afin de donner plus d’espoir aux générations futures et leur léguer un héritage pérenne.
Le peuple Burkinabè a longtemps souffert de la mauvaise gouvernance, est-ce que le MPSR pourra redresser la barque. Certains estiment que de la manière dont les choses se dessinent, le nouveau pouvoir risque de durer aux affaires. Quelle appréciation faites-vous de cette interrogation. ?
Difficile à dire, mais j’espère bien que le MPSR puisse impulser ce renouveau. Cependant à moins d’avoir un don de prédiction, je ne peux me prononcer avec certitude sur leur volonté réelle. Qu’à cela ne tienne, notre histoire est riche en enseignement. Et j’ose espérer qu’ils sachent le lire. Tout compte fait, c’est au peuple Burkinabè d’impulser et d’imposer le changement dont il rêve.
Quel schéma préconisez-vous pour sortir le pays de la situation ?
Le schéma que nous préconisons est élaboré dans un mémorandum que nous allons transmettre aux nouvelles autorités. Pour l’instant, nous souhaitons que cela ne soit pas sur la place publique.