J’accuse!
J’accuse les Burkinabè. Oui, je les accuse, car à y regarder de près, ils ne sont pas à plaindre. Oui, les Burkinabè ne devraient pas être surpris par ce qui leur arrive aujourd’hui. Norbert Zongo l’a martelé jusqu’à son dernier souffle: « toutes les compromissions se payent cash ».
Nous devons tous payer cash aujourd’hui nos compromissions, notre démission, notre lâcheté, notre attentisme maladif, notre politique de l’autruche, notre politique du « Yel kayé »; cette attitude typiquement burkinabé qui consiste à dire « tout va bien », « il n’y a pas de problème », quand bien même on est encerclé par un grand feu de brousse.
Je m’explique:
Dès le départ, les tous premiers signaux envoyés par le régime Kaboré étaient mauvais, même très mauvais. Le tout premier gouvernement de ce régime, mis en place début 2016, a fait fort, même très fort, en matière de corruption. Quelques rappels historiques:
Nous sommes un mercredi soir de mars 2016. Soit un soir d’un des tous premiers conseils des ministres du premier gouvernement Thieba Maïs, pardon, Kaba, qui venait d’être mis en place. Les Burkinabè apprennent, à travers le compte-rendu du conseil des ministres de ce jour-là, l’attribution d’un des tous premiers gros marchés publics de l’ère Kaboré. Il s’agit du marché de modernisation et de sécurisation des titres de transport au Burkina Faso. C’est-à-dire le marché de modernisation des permis de conduire, des cartes grises et autres plaques d’immatriculation des véhicules automobiles au Burkina.
Un marché de plus de 15 milliards de F CFA, attribué au Français Oberthur technologies (il a dû changer de nom entre temps). Un véritable scandale sans nom. L’attribution de ce gros marché à cet opérateur économique français était si scandaleuse et inacceptable que l’ARCOP (Autorité de régulation de la commande publique) a dû taper du poing sur la table. Elle avait ordonné l’annulation pure et simple de cette attribution.
Mais le conseil des ministres, présidé par Roch Kaboré himself, n’avait cure de la décision de cette autorité. Pendant que les tractations étaient en cours pour l’application de la décision, le gouvernement a décidé, d’entériner l’attribution du marché au français. Et il ne s’arrête pas là, le ministre des transports d’alors, un certain Soulama, prend un avion pour rejoindre le patron de Oberthur technologies en France pour signer le contrat avec lui. Jamais de mémoire de Burkinabè cela n’avait été vu: un ministre engager des fonds publiques pour rejoindre un prestataire privé chez lui pour la signature d’un contrat de marché public. Il fallait le faire.
Que l’Arcop et les soumissionnaires protestataires aillent au diable. Roch Kaboré et ses ministres sont au-dessus de tout.
Aujourd’hui, le bilan de ce marché, qui a fait l’objet d’un avenant de plusieurs autres milliards entre temps, est une véritable tragédie. L’opération est un véritable fiasco. De titres de transport sécurisés, il n’en est absolument rien. Et le Burkina devra encore débourser encore plusieurs autres milliards pour tout reprendre. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est le patron des renseignements Burkinabè qui le dit…
Des hauts faits de corruption du genre, la presse burkinabé en a dénoncé à profusion sans jamais être démentis: des surfacturations démentielles au ministère des infrastructures, au marché emblématique de l’INSD, en passant par le charbon fin et les centaines de milliards du FSRB, l’affaire ONATEL-Douane, et j’en oublie forcément. Tout y est pour témoigner du penchant morbide de ce régime vers la corruption. Le réseau national anticorruption (RENLAC) ne disait pas autre chose en lui décernant au lendemain du scrutin de novembre 2020 la palme d’or de la corruption électorale. Est-il encore besoin de revenir sur la présence du phénomène dans l’armée? Je ne crois pas. L’actualité brûlante suffit à elle seule pour en témoigner amplement.
Et depuis tout ce temps, nous étions quelques rares téméraires journalistes et activistes à oser pointer ces pratiques qui ne faisaient que précipiter le pays vers le précipice. Et quand nous le faisions, nous avions, en plus des tenants de ce régime luciférien, des vastes colonies d’adeptes du « yel kayé » pour nous le reprocher, et nous en vouloir terriblement, tout en se fourrant, bien sûr, la tête dans le sable mouvant de la compromission.
Lorsque nous osions dénoncer la gouvernance catastrophique et mensongère de l’armée, nous étions taxés de pro-terroristes. Nous étions des « aigris », des « jaloux » du régime MPP, à qui d’aucuns demandaient de se taire et laisser le MPP jouir de son pouvoir, car c’est lui que le peuple aurait choisi. Nous avions beau dire de faire attention car les militants du MPP ne seront pas seuls à casquer pour les conséquences de cette gouvernance démentielle, point d’oreilles pour l’entendre.
Eh bien, l’heure de payer est arrivée. Que chacun paye. Cash!
Kato!
Yacouba Ladji Bama