En moins de 18 jours, les profits des entreprises des énergies fossiles suffiraient à financer la totalité des appels humanitaires de l’ONU pour 2022.
D’après un rapport publié aujourd’hui par Oxfam, dans dix des pays les plus exposés aux risques climatiques dans le monde, qui ont fait l’objet du plus grand nombre d’appels de l’ONU liés à des phénomènes météorologiques extrêmes, la faim aiguë a augmenté de 123 % rien qu’au cours des six dernières années.
Gabriela Bucher, directrice générale d’Oxfam International, déclare : « Les changements climatiques ne sont plus une bombe à retardement, ils explosent déjà sous nos yeux. Les phénomènes météorologiques extrêmes comme les sécheresses, les cyclones et les inondations, qui ont déjà quintuplé au cours des 50 dernières années, sont de plus en plus fréquents et de plus en plus mortels ».
Le rapport intitulé La faim dans un monde qui se réchauffe révèle que dix des pays les plus sensibles aux risques climatiques, à savoir la Somalie, Haïti, Djibouti, le Kenya, le Niger, l’Afghanistan, le Guatemala, Madagascar, le Burkina Faso et le Zimbabwe, ont été frappés par des phénomènes météorologiques extrêmes de manière répétée au cours des deux dernières décennies. Aujourd’hui, dans ces pays, 48 millions de personnes souffrent gravement de la faim (contre 21 millions en 2016). Parmi elles, 18 millions sont au bord de la famine.
« Les chocs climatiques répétés sont en passe de donner le coup de grâce à des millions de personnes qui ont déjà été sévèrement touchées par les conflits en cours, le creusement des inégalités et les crises économiques. Les catastrophes climatiques sont en train d’épuiser la résilience des populations pauvres et de les précipiter dans une situation de crise alimentaire encore plus grave », poursuit Mme Bucher.
À titre d’exemple :
- Au Kenya, la sécheresse a tué près de 2,5 millions de têtes de bétail et précipité 2,4 millions de personnes dans une situation de crise alimentaire, notamment des centaines de milliers d’enfants qui souffrent de malnutrition sévère.
- Au Niger, 2,6 millions de personnes souffrent aujourd’hui de la faim aiguë (ce qui représente une augmentation de 767 % par rapport à 2016). La production céréalière a chuté de près de 40 % : les chocs climatiques récurrents, joints aux conflits en cours, ont rendu les récoltes de plus en plus difficiles. La production des denrées alimentaires de base comme le millet et le sorgho risque de s’effondrer encore de 25 % si le réchauffement mondial dépasse les 2 °C.
- Le Burkina Faso a enregistré une hausse vertigineuse de la faim qui a augmenté de 1350% depuis 2016. En juin 2022, le nombre de personnes souffrant de faim extrême s’élevait à 3,4 millions, en raison des conflits armés et de l’aggravation de la désertification des cultures et des terres pastorales. Un réchauffement climatique à plus de 2 °C entrainerait une réduction supplémentaire de 15 % à 25 % de la production céréalière.
- Au Guatemala, une sécheresse sévère a entrainé la perte de près de 80 % des récoles de maïs et dévasté les plantations de café.
« Nous sommes resté·es presque huit jours pratiquement sans nourriture », raconte Mariana López, une mère de famille vivant à Naranjo, ville située dans le couloir sec du Guatemala. Des sécheresses persistantes l’ont contrainte à vendre sa terre.
La faim due aux événements climatiques est une preuve criante des inégalités mondiales. Les pays les moins responsables de la crise climatique sont ceux qui en subissent le plus les conséquences et ceux qui ont le moins de ressources pour y faire face. Responsables de seulement 0,13 % des émissions mondiales de carbone, les dix pays les plus sensibles aux risques climatiques se situent dans le dernier tiers du classement des pays les mieux préparés pour faire face aux changements climatiques.
En revanche, les pays industrialisés et polluants comme ceux du G20, qui contrôlent 80 % de l’économie, sont responsables de plus des trois quarts des émissions mondiales de carbone.
Les dirigeant·es de ces pays continuent de soutenir des entreprises polluantes florissantes qui leur fournissent souvent un appui important durant leurs campagnes politiques. Au cours des 50 dernières années, les entreprises du secteur des énergies fossiles ont enregistré en moyenne 2,8 milliards de profits par jour. Moins de 18 jours de profits permettraient de financer la totalité des appels humanitaires de l’ONU pour 2022, qui s’élèvent à 49 milliards de dollars.
En outre, des changements politiques sont nécessaires afin de gérer la double crise du climat et de la faim. Si des mesures de grande ampleur ne sont pas prises immédiatement, la faim continuera à monter en flèche.
« À l’approche de l’Assemblée générale des Nations-Unies qui se tiendra cette semaine et en amont de la COP27 de novembre, les dirigeant·es, en particulier celles et ceux des pays riches et polluants, doivent tenir leurs promesses et réduire leurs émissions. Ils/elles doivent financer les mesures d’adaptation et les pertes et préjudices subis par les pays à faible revenu, mais aussi fournir immédiatement des fonds d’urgence pour répondre aux appels de l’ONU en aide aux pays les plus touchés.
« Nous ne pouvons résoudre la crise climatique sans nous attaquer aux inégalités profondes de nos systèmes alimentaire et énergétique. Une augmentation des impôts pour les plus polluants permettrait de financer aisément ces mesures. Un impôt de seulement 1 % sur les profits annuels moyens des entreprises du secteur des énergies fossiles générerait 10 milliards de dollars, soit de quoi couvrir la plupart des déficits de financement des appels humanitaires de l’ONU liés à l’insécurité alimentaire », explique Mme Bucher.
L’annulation de la dette des États vulnérables permettrait aussi aux gouvernements de libérer des ressources pour investir dans l’atténuation des changements climatiques.
Les pays riches et les plus polluants ont un devoir moral de solidarité à l’égard des pays à faible revenu qui sont les plus touchés par la crise climatique. « Il n’est pas question de charité, mais d’un impératif éthique », tranche Mme Bucher.
Notes aux rédactions
- Télécharger le rapport d’Oxfam : La faim dans un monde qui se réchauffe.
- Le FSIN a commencé à publier des rapports mondiaux sur les crises alimentaires en 2017. La population totale en situation d’insécurité alimentaire de niveau IPC 3+ dans ces dix pays en 2016 (voir GRFC 2017, p. 21) était de 21,3 millions, tandis qu’elle atteignait 47,5 millions en 2021 (voir GRFC 2022, pp. 30 – 33). Elle a donc augmenté de 123 %.
- Les calculs relatifs au nombre de personnes au bord de la famine dans les dix pays concernés sont basés sur le nombre de personnes se trouvant au niveau IPC 4 d’insécurité alimentaire et plus en 2021, d’après le rapport GRFC 2022, voir le manuel Comprendre la classification IPC (en anglais)
- La liste des dix pays les plus exposés aux risques climatiques comprend les pays qui, depuis 2000, ont fait l’objet du plus grand nombre d’appels liés à des phénomènes météorologiques extrêmes, dans lesquels les risques climatiques ont joué un rôle majeur. Source : Le rapport L’heure des comptes publié par Oxfam en mai 2022.
- Les dix pays qui ont fait l’objet du plus grand nombre d’appels liés à des phénomènes météorologiques extrêmes, dans lesquels les risques climatiques ont joué un rôle majeur depuis 2000, Voir la méthodologie décrite dans la note technique d’Oxfam intitulée UN Humanitarian Appeals linked to Extreme Weather, 2000-2021 et publiée en 2022.
- Les chiffres concernant la multiplication par cinq des catastrophes climatiques sont tirés de l’Atlas de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) de la mortalité et des pertes économiques dues à des phénomènes météorologiques, climatiques et hydrologiques extrêmes (1970-2019) (OMM-N°1267), Genève.
- En 2020, la somme des émissions de carbone cumulées des dix pays les plus sensibles aux risques climatiques était de 2 milliards de tonnes de carbone, ce qui représente 0,13 % des émissions mondiales, qui s’élevaient à 1,69 mille milliards de tonnes de carbone la même année. Source : Our World in Data.
- En 2020, la somme des émissions cumulées de carbone des pays du G20 était de 1,299570755 mille milliards de tonnes de carbone, ce qui représente 77% des émissions mondiales totales (1,696524177 mille milliards de tonnes). Source : Our World in Data.
- Ces dix pays se classent dans les derniers 34 % selon les calculs en percentiles de la Notre Dame Global Adaptation Initiative (ND-GAIN). Les scores ND-GAIN de 2020 sont tirés du site Internet de ND-GAIN.
- Pour calculer les profits quotidiens moyens de l’industrie des énergies fossiles au cours des 50 dernières années, estimés à 2,8 milliards de dollars (soit une moyenne annuelle de 1 022 milliards de dollars), nous avons utilisé cet article (en anglais) du Guardian publié en 2022 : Revealed: oil sector’s ‘staggering’ $3bn-a-day profits for last 50 years. Sur la base de la moyenne quotidienne, nous avons calculé que moins de 18 jours de profits des entreprises de ce secteur permettraient de couvrir la totalité des appels humanitaires mondiaux des Nations Unies pour 2022, qui s’élèvent à 48,82 milliards de dollars. Nous avons utilisé la moyenne annuelle de 1 000 milliards de dollars pour calculer le rendement d’un impôt supplémentaire de 1 % sur les profits des entreprises du secteur des combustibles fossiles (10 milliards de dollars). The Guardian (2022). Revealed: oil sector’s ‘staggering’ $3bn-a-day profits for last 50 years.
- L’appel humanitaire de l’ONU pour 2022 se trouve sur le site internet du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, consulté pour la dernière fois le 30 août 2022. La partie de l’appel consacrée à la sécurité alimentaire s’élève à 15,9 milliards de dollars. Sur cette somme, le déficit de financement était de 10,4 milliards au 8 septembre 2022.