Ceci est une tribune du professeur Yoporeka Somet. Dans cette tribune, le professeur s’insurge contre la banalisation de la vie. Lisez !
UNE FOIS n’est pas coutume : si je me permets aujourd’hui de faire cette publication, ce n’est pas juste pour partager des idées et encore moins pour interpeller les autorités de mon pays, le Burkina Faso, auxquelles j’ai cessé depuis longtemps de faire confiance, à cause des manifestations aussi récurrentes qu’indécentes qu’elles nous fournissent elles-mêmes, chaque jour que Dieu fait, de leur propre indignité.
Du reste, on pouvait déjà soupçonner une telle félonie, rien qu’à voir la frénésie avec laquelle le premier d’entre eux s’était empressé de prêter serment, en piétinant toutes les règles établies, en vue d’être installé « légalement » au Palais de Kosyam, après avoir interrompu par les armes un processus démocratique certes perfectible, mais qui avait été gagné de haute lutte par le peuple burkinabè, en Octobre 2014. C’est donc au peuple burkinabè que je m’adresse, et particulièrement à la jeunesse, à qui l’on essaie de faire croire que la vie, notamment la vie humaine, celle des Burkinabè et des Africains en particulier, ne compte pour rien.
QUI FAIT CROIRE CELA ? Ce sont tous ceux, qui au sommet de l’État ou ailleurs ont assisté à la probable longue agonie des huit mineurs coincés dans un puits inondé de la mine de zinc de Perkoa pendant plus d’un mois. Personne ne pourra nous convaincre qu’un État digne de ce nom n’aurait pas pu mettre tous les moyens possibles en œuvre pour porter secours à ces huit pauvres travailleurs.
L’exemple malheureux du petit Rayan tombé accidentellement dans un puits de même type montre que cela est possible, en Afrique. Toujours est-il qu’à la différence du Maroc qui a retenu son souffle pour ce petit garçon, rien de tel ne s’est produit au Burkina Faso pour les huit mineurs. Comme si, épuisés ou, pire, habitués aux dizaines de morts que font les attaques terroristes chaque jour, les Burkinabè avaient finalement accepté que leur propre vie ou la vie de leurs proches ne comptait désormais pour rien.
Cela est tout simplement inacceptable. Tout comme est inacceptable aussi le fait que tant de minerais stratégiques de toutes sortes soient ainsi dûment abandonnés par l’État burkinabè à la voracité et au pillage éhontés de compagnies étrangères. Pourquoi n’y a-t-il pas une usine de transformation du zinc exploité à Perkoa ? Et pourquoi n’y a-t-il même aucune usine de la sorte, dans tout le pays ? Alors dans ces conditions, pour qui donc sont morts les huit de Perkoa ? Et qui profite de notre malheur commun ?
D’ailleurs, sans remonter trop loin dans le temps, quelle mesure forte a-t-on pris, au plus haut sommet de l’État, après l’explosion meurtrière survenue, en Février dernier, à la mine d’or de Gomblora, dans le Poni, et qui avait fait plusieurs dizaines de morts et de blessés graves à vie ? Quelle mesure forte au niveau de la nation, pour qu’il n’y ait « plus jamais ça » ? Rien, absolument rien : pas même une journée de funérailles ou de deuil nationale, comme le faisait au moins le Président Rock KABORÉ ! Comme si la mort aussi brutale et atroce de dizaines de Burkinabè n’avait aucune importance !
Et que dire de l’actualité nationale de ces dernières quarante-huit heures : combien de dizaines de morts encore ? Et toujours la même distance, la même apathie et la même indifférence des plus hautes autorités du pays ; une attitude incompréhensible qui a peut-être aussi commencé à contaminer la population…
CEUX qui essaient AINSI de nous faire croire que notre vie ne vaut rien, ce sont encore et toujours eux qui ont, paradoxalement, la charge de protéger le pays, son intégrité ainsi que la vie de ses citoyennes et citoyens. Que font-ils concrètement, depuis toutes ces années, pour défendre le pays attaqué de toutes parts, afin de protéger le peuple contre un ennemi qu’on nous présente comme insaisissable et difficile à vaincre ? Même sans rien connaître à la stratégie militaire, toute personne raisonnable sait que ceci n’est pas la vérité… Il suffit en outre d’observer le comportement des hauts responsables de l’armée burkinabè pour savoir que cela n’est pas vrai.
Pourquoi tant d’officiers supérieurs formés au combat et à la défense de la patrie sont-ils déployés, semaine après semaine, dans des emplois civils (Présidence du Faso, Ministères, directions de sociétés d’État, diplomatie, etc.) et non sur les champs de bataille ? Et pourquoi la troupe est-elle abandonnée à elle-même, souvent sans équipement adapté et sans munition, parfois même sans ravitaillement alimentaire, comme ce fut le cas à INATA ? Et qui a intérêt à ce que les Burkinabè ne sachent pas ce qui s’est exactement passé à INATA ?
On a l’habitude de dire que les dirigeants passent mais que les peuples restent. Cela est davantage vrai encore pour les plus indignes d’entre eux, comme ceux que nous voyons actuellement s’agiter en face, sans envergure ni profondeur et donc aussi sans projet ni ambition pour le pays. Contrairement à ce type de dirigeants éphémères et gloutons, plus préoccupés à se servir qu’à servir le pays, les peuples eux, viennent de loin et les Burkinabè, surtout les plus jeunes, doivent savoir qu’ils sont d’abord un peuple d’honneur et de dignité. La très longue histoire de ce « pays » ainsi que celle du continent le prouvent amplement. Nous ne devons donc jamais permettre à la jeunesse d’oublier qu’au tout début du XIIIe siècle, il a été solennellement affirmé, dans notre espace commun, le principe que « toute vie est une vie ».
A plus forte raison, cette jeunesse doit se souvenir, surtout en ce moment, que la vie humaine est sacrée et qu’il n’est pas permis d’en faire un simple divertissement, comme le montre un conte ancien du 25ème siècle avant J.-C. En effet, convoqué au Palais par le puissant roi Khoufou (le Chéops des Grecs), un roi autrement plus fort que le jeune homme qui est actuellement cloîtré à Kosyam (au lieu d’être en train de guerroyer contre les ennemis de la nation) pour trancher, grâce à son pouvoir magique, la tête d’un captif et ensuite la réajuster, le vieux magicien Djedje (alors âgé de 110 ans) avait refusé net et donné au roi régnant cette belle leçon de vie : « Non MajestÉ, Vie, Force, SantÉ : il n’est pas permis de faire PAREILLE CHOSE au troupeau noble » !