Le procès Thomas Sankara et ses douze compagnons a repris ce mardi 22 mars 2022 avec les avocats de la défense. Il avait connu une suspension le 3 mars 2022 suite à une requête d’exception d’inconstitutionnalité soulevée par des avocats de la défense. Et dans sa décision rendue le 18 mars, le conseil constitutionnel a rejeté au fond les requêtes en déclaration d’inconstitutionnalité des articles 313-1 et 313-2 du code pénal des avocats de Mory Jean Pierre Palm, Tibo Ouédraogo et Bossobé Traoré. Cette décision a permis au tribunal de reprendre service avec les plaidoiries des avocats de la défense.
Le top de départ des plaidoiries des avocats de la défense a été lancé par l’un des avocats de Gilbert Diendéré, Me Mathieu Somé. D’entrée, Me Somé s’est incliné « avec respect et humanisme » sur la mémoire des victimes des événements du 15 octobre 1987. Dans sa défense, Me Mathieu Somé a rappelé l’article 4 de la constitution du Burkina qui dispose que « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie ». Puis il s’interroge « sommes-nous damnés, sommes-nous déjà condamnés ? Je pense que non « .
En poursuivant dans plaidoirie, Me Somé a évoqué la question de la prescription de l’action publique en matière pénale de ce dossier en faisant appel à l’article 220-2 du code de procédure pénale qui dispose qu’« en matière de crime et sauf dispositions particulières, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis, si dans cet intervalle il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite ».
Et aussi l’article 6 du Statut de Rome sur les crimes imprescriptibles. En évoquant les deux articles, il a conclu que les chefs d’accusation retenus dans le dossier Thomas Sankara notamment attentat à la sûreté de l’État, assassinat, recels de cadavres et de subornation de témoins sont donc tous prescriptibles.
Après Me Somé, ce fut le tour d’un autre avocat du général Gilbert Diendéré, Me Abdou Latif Dabo. Dans sa démarche de défense, il a d’abord montré l’importance de la notion d’intime conviction du juge. Et cette méthode de travail, selon lui, ne se résume pas à une impression. Mieux dans cette méthode, il est demandé au juge de passer au crible de la raison toutes les composantes du dossier.
Selon Me Dabo, l’âge est un facteur qui peut dénaturer certains souvenirs surtout dans une affaire comme celle de Thomas Sankara et ses compagnons d’octobre 1987. Il estime que les souvenirs à forte charge émotionnelle sont parfois inaccessibles du fait de l’anxiété du sujet. Et pour cause, certains témoins ont manqué de dire la vérité à la barre, alors qu’ils ont longtemps occupé les espaces médiatiques pour parler des luttes engrangées sous la révolution. Pourtant selon lui, « La vérité ne se murmure pas, elle se dit ».
A la suite des deux avocats de la défense, c’est à Me Issiaka Ouattara, l’avocat de Diébré Alidou Christophe d’ouvrir les plaidoiries, . Le client de Me Ouattara dans cette affaire est accusé de faux en écriture publique. Le médecin militaire a délivré des certificats de décès aux veuves de Thomas Sankara et certaines familles. Et sur les certificats, il avait inscrit la cause « mort naturelle ».
Pour la défense de son client, Me Ouattara s’est appesanti sur les deux points cardinaux notamment la prescription de l’action publique et la matérialité des faits reprochés à son client. En ce qui concerne la prescription de l’action publique. Il a soutenu que les faits reprochés à son client constituant un délit. Et le code pénal de 1984 stipule qu’en matière de délit, la prescription est de trois ans révolus. Les certificats ayant été délivrés le 17 janvier 1988, et la première procédure était 1997, l’avocat en déduit que les faits sont prescrits. Ce qui conduit à une extinction de l’action publique.
Pour la constitution du délit, l’avocat affirme que l’infraction n’est pas constituée puisque son client n’avait aucune intention coupable. Selon Me Ouattara, son client a rédigé les certificats de décès à la demande des veuves. Il voulait seulement rendre service. Pour lui, l’infraction étant éteinte par prescription et face à l’inexistence de l’intention coupable, son client doit être relâché.
Pour l’accusé, le médecin militaire à la retraite Kafando Hamado, poursuivi pour de faux en écriture publique, Me Aliou Diakité affirme que c’est sous la contrainte morale que Kafando Hamado a établi l’acte de décès de feu Compaoré Bonaventure. Selon Me Diakité, l’élément moral de l’infraction reprochée à Kafando Hamado est inexistant.
En marquant mort accidentelle sur le certificat de décès de Compaoré Bonaventure, il n’avait donc aucune intention coupable. Il soutient que son client n’aurait même pas dû comparaître devant le tribunal, surtout que son acte n’a nui à personne. Il trouve que cette poursuite contre client est regrettable.
Aorès Me Ouattara, Me Aliou Diakité, ce fut le tour de Me Moumouni Kopiho de plaider pour son client, l’accusé Mori Aldiouma Jean Pierre Palm. Dans sa plaidoirie, il demande purement et simplement la libération de son client car ce procès ne pourra pas apporter « la vérité attendue ».
Me Kopiho a entamé sa défense en qualifiant ce procès de « parodie de justice » car tout au long de ce procès, les témoignages n’ont été fondés sur aucun élément matériel. Au contraire, ces témoignages n’ont été basés « uniquement que sur des soupçons et de la haine ». Me Kopiho s’est beaucoup attardé dans plaidoirie sur « la table d’écoutes, qui vaut son pesant d’or dans l’accusation de Jean Pierre Palm, Me Kopiho a notifié à la chambre que cette table d’écoute n’a jamais été détruite par son client, mais déplacée au Conseil de l’entente en son temps ».
L’accusation portée sur son client en ce qui concerne la table d’écoutes n’a pas lieu d’être. « On l’accuse sans preuve, d’être venu avec un Blanc pour saboter cette table. Mais aucun témoignage concret le démontre », a-t-il soutenu Me Kopiho.
Partant de la réquisition du parquet qui requiert la condamnation de son client avec sursis, Me Kopiho a demandé au président du tribunal, Me Urbain Meda, de s’aligner sur cette réquisition du ministère public. « Tout ce qu’on reproche à mon client, c’est d’être un très bon ami de Blaise Compaoré; d’avoir, en bon gendarme, continué de servir l’État après la mort de Sankara. Cela ne fait pas de lui un complice de la mort de Sankara », a poursuivi Me Moumouni Kopiho.
Selon Me Moumouni Kopiho, « le dossier Sankara a quitté des gens dans des chambres salons à des villas huppées de Ouaga 2000. On aurait menti au peuple burkinabè, qu’on aurait trouvé les véritables assassins de Thomas Sankara si on condamnait les innocents. Monsieur le Président du tribunal, c’est vous qu’on veut piéger. Dites le droit ».
Pour rappel, le colonel-major Jean Pierre Palm est accusé dans ce dossier de complicité d’attentat à la sûreté de l’État. Le procès se poursuivra le 23 mars 2022 au tribunal militaire avec les avocats de la défense.