Dans le cadre d’une investigation concertée, seize rédactions ont eu accès à plus de 50 000 numéros de téléphone potentiellement ciblés par le projet Pegasus, un puissant logiciel espion israélien, pour le compte d’une dizaine d’Etats. Une arme numérique utilisée contre des journalistes, des avocats, des militants et des responsables politiques de nombreux pays.
C’est un annuaire dans lequel on trouve le contact d’un chef d’Etat et deux chefs de gouvernement européens, des hommes et des femmes aux plus hauts échelons du pouvoir d’une ex-République soviétique ; des dizaines de députés de l’opposition d’un pays africain ; des princes et des princesses, des chefs d’entreprise, quelques milliardaires, des ambassadeurs, des généraux. Et puis, aussi et surtout, des centaines de journalistes, d’avocats, de militants des droits de l’homme.
Le consortium de seize rédactions, qui a eu la possibilité d’avoir accès à environ 50 000 numéros de téléphone partagés par l’organisation Forbidden Stories et Amnesty International sont des cibles potentielles d’un puissant logiciel espion de l’entreprise israélienne NSO Group, baptisé « Pegasus », pour le compte d’une dizaine de gouvernements dans le monde, surtout occidental.
En effet, il s’avère que nombre de ces cibles qui sont de la société civile ont été effectivement infectées par Pegasus. Pour les besoins de l’investigation, le consortium coordonné par Forbidden Stories a pu confirmer l’authenticité des données en les croisant avec plusieurs autres sourceset en identifiant des dizaines de nouvelles victimes du logiciel par des analyses techniques extrêmement poussées sur leurs téléphones mobiles, grâce aux experts du Security Lab d’Amnesty International.
Violation des droits de l’homme
Les listes des « cibles » sont d’un intérêt exceptionnel, car l’usage de du logiciel Pegasus par les Etats clients de la société NSO, en dehors de tout cadre légal, est un secret bien gardé. En effet, depuis sa création,en 2011, l’entreprise israélienne vend son logiciel comme un outil décisif,destiné uniquement à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé et multiplie les discours assurant que tout est mis en œuvre pour garantir la légitimité dans l’usage. Cependant, l’analyse faite des données consultées par le consortium de rédaction dont le Monde montre que, pour une grande partie des clients de NSO, le terrorisme et le grand banditisme ne constituent qu’une infime partie des utilisations.
En Azerbaïdjan, au Maroc ou au Rwanda, ce sont avant tout des journalistes, des opposants, des avocats, des défenseurs des droits de l’homme qui sont les principales cibles de ce logiciel espion sophistiqué. Contrairement à ce que NSO répète depuis des années, que les cas de surveillance politique sont des incidents isolés. Les informations que le consortium de rédaction dont le monde et ses partenaires publient, à partir de ce 18 juillet 2021 à travers une série de révélations prouvent de manière incontestable que ces abus sont la norme et non l’exception.