Quitter Gounghin pour rallier la capitale de la région de l’Est, Fada N’gourma, se révèle un parcours de combattant pour transporteurs et passagers. Entre sautillements, les corps qui balancent à l’intérieur du car, zigzags, vomissements et même souvent des chutes inattendues pour les voyageurs, et pertes financières pour les transporteurs, c’est la croix et la bannière pour les usagers de cette route qui veulent regagner leur « bayiri » pour certains, et leur lieu de travail pour d’autres. La réhabilitation de la voie, lancée depuis le 19 septembre 2020 par le premier ministre Christophe Joseph Marie Dabiré, n’a toujours pas démarré. Un an après le lancement des travaux, toujours rien sur le terrain. Le contrat de l’entreprise en charge des travaux serait menacé de résiliation apprend-on. Mais avant, embarcation sur une voie inexistante, en route vers Fada N’gourma.
Mardi 16 février 2021, il est 10h à Ouagadougou. Nous embarquons dans un car de transport en commun pour rallier la capitale de la région de l’Est, Fada N’gourma. Le car est tout rempli de passagers dont les destinations sont entre autres, Koupéla, Gounghin ou Fada N’gourma. Nous voilà en pleine circulation ouagalaise, quittant la capitale bouillonnante des deux roues. Dans le car, pendant que certains conversent avec leurs voisins, d’autres par contre, ont le visage plongé dans leur smartphone, vraisemblablement pour capter les dernières actualités sur le réseau social « Facebook ». Nous prenons environ quarante-cinq minutes pour sortir des embouteillages inédits de Ouagadougou.
Au bout de quelques instants, les pleurs et les cris de certains gamins blottis dans les bras de leurs mères se font entendre. Si beaucoup pleurent parce qu’apeurés par la présence de nombreux étrangers autours d’eux, certains quant à eux réclament à leur génitrice le lait maternel pour assouvir une faim ou une soif.
C’est dans cet atmosphère qu’au bout de trois heures environ, nous arrivons à atteindre sans problèmes particuliers la ville des « pierres blanches », Koupéla, distante de la capitale d’environ 139 kilomètres. Le car fait une escale de quelques minutes. Des passagers à destination de cette ville descendent tandis que d’autres embarquent pour rallier à présent Fada N’gourma et ses environs. Après les cinq minutes d’escale, nous embarquons à nouveau. Au bout de quelques minutes nous atteignons la ville de Gounghin. Un passager dans le car lance, « attachez vos ceintures, c’est maintenant que nous allons voyager ! »
Si certains habitués de la route ont vite compris le message du passager en question, beaucoup qui empruntaient pour la première fois l’axe, essayaient de décortiquer ledit message sans vraiment y parvenir. Un passager curieux, assis juste devant nous, demande à son voisin le sens du message. Avant même que le voisin n’ouvre la bouche pour expliquer, il sursaute de son siège, et voit sa tête cogner le support du porte-bagages interne de l’autobus. Très vite, il comprit la portée du message du passager « prévenant ».
Il saisit de ses deux mains et de toutes ses forces la barre de maintien située juste devant lui.
Le calvaire venait juste de commencer. Les pleurs et les cris des enfants se font entendre à nouveau. Ils ont visiblement mal. C’est inconfortable. Les pleurs perdurent et s’amplifient à chaque kilomètre avalé par le car. Impossible de faire dix mètres sans sautiller. Notre voisin, un jeune homme, la quarantaine presque, lui ronflait ; il était visiblement dans les nuages. Il dormait à fond depuis le départ de Ouagadougou. Mais son compagnonnage avec Morphée sera fortement perturbé quand le car va percuter un énorme trou sur la voie. Comme dans un jeu de saut en hauteur, les passagers se retrouvent momentanément suspendus à une hauteur d’environ quinze centimètres de chaque siège, des têtes cognent les supports des coffres internes des bagages de bus. Dans cet exercice forcé, nous apercevons le voisin au sol qui essaie de se relever. Les soubresauts dans le car l’ont amené au sol. Aussitôt, il se met debout et se rassied. Un peu déboussolé, il jette un coup d’œil à gauche et à droite et s’aperçoit que toute le monde a le visage grave et concentré. Il comprend très vite la situation. Il s’accroche à son tour de toutes ses forces au siège du passager devant lui.
Chez les vielles personnes, la panique se lit sur les visages aux traits tirés. Ils ont visiblement du mal à encaisser ces secousses qui n’en finissent pas. Un vieux, octogénaire d’apparence, assis à notre droite, les cheveux et la barbe blanchis, a le visage qui exprime la souffrance.
Le chauffeur du bus quant à lui essaie d’éviter au maximum les nids de poules. Ce qui augmente les secousses déjà cadencées ; mais impossible, ils sont partout ! A peine si le bitume existe encore sur le tronçon. Ce sont des ravins et des bourbiers qui se présentent aux transporteurs.
Diapangou-Fada N’gourma, le tronçon des « bal poussière » !
Après Gounghin, nous atteignons péniblement la commune rurale de Tibga où environ 33 000 âmes y résident. Après Tibga, nous mettons le cap sur Diapangou. Le trajet Diapangou-Fada N’gourma d’environ 17 Km se relèvera être un tronçon des records ! A peine nous atteignons Diapangou, il faut abandonner le goudron, pour emprunter des clairières. Il faut faufiler entre les arbres pour ensuite reprendre une voie, puis une autre avant de se retrouver sur la voie principale. Avec cet état de dégradation avancée de la route, il est impossible de rouler à plus de 10 Km/h. Au bout de quelques minutes, une jeune dame passagère, d’environ la trentaine, entre deux secousses confie à sa voisine « ici, c’est le record, c’est 17 Km de bal-poussière, accrochez-vous ! ».
La voisine, vraisemblablement une « Gourmantché », comme pour décrisper les visages tendus des passagers, à travers la parenté à plaisanterie, se plaint : « c’est vous les yadsés là, avec vos bus là, qui avez gâté notre route là ! ». Une autre dame, visiblement une yadga, Assise plus au fond précise, face à la plaisanterie, en ces termes : « il faut dire Dieu merci qu’avec nos cars nous vous conduisons chez vous à la maison ! ».
Cette phrase aura un effet ; tous les passagers, se mettent aussitôt à rire pour tenter d’oublier les danses sur les sièges. Mais la décrispation sera de courte durée, comme pour nous rappeler, que c’est l’état de la route qui est à la manœuvre. Le car se met à zigzaguer à nouveau sur la voie, balançant les passagers de gauche à droite, se cognant les épaules des uns contre les autres. Après environs trente-cinq minutes, nous n’avions fait que la moitié des 17 Km qui séparent Diapangou à Fada N’gourma. C’est avec la même galère que nous avons mis encore trente minutes pour avaler les 8 Km restants.
Partis de Ouagadougou à 10 h, c’est à 15h que nous sommes arrivés dans la cité du Yendabli pour une distance à parcourir d’environ 218 km.
Encadré
Une réhabilitation qui se fait attendre !
La réhabilitation du tronçon Gounghin-Fada N’Gourma-Pièga-Frontière du Niger a été annoncée le 19 septembre 2020 par le Premier ministre Christophe Joseph Marie Dabiré en compagnie du ministre des infrastructures, Eric Bougouma. Ce jour-là, le ministre avait rassuré les usagers de la route qu’ils allaient « glissé jusqu’à Fada ». Mais plus d’un an après le lancement, les usagers continuent de « s’enfoncer » sur cette route. Pas de bulldozers, ni les camions présents lors du lancement des travaux n’étaient encore visibles. Beaucoup de voix s’étaient même levées pour exprimer le ras-le-bol quant au non démarrage des travaux. Plus d’un an après des tentatives de résolution du problème, le ministère des infrastructures semble cette fois-ci avoir haussé le ton.
En effet, deux mises en demeure ont été adressées à SINTRAM, l’entreprise en charge des travaux par la direction générale des infrastructures routières. La correspondance en date du 18 octobre 2021 sommait l’entreprise d’avancer résolument dans l’exécution du chantier dans un délai de deux semaines. Mieux dans la correspondance, le directeur général des infrastructures routières a signifié à l’entreprise « qu’au terme de ce délai de deux semaines, la procédure de résiliation du marché sera engagée en cas de non satisfaction des termes de la présente ».
En clair, en cas de non démarrage des travaux dans le délai des deux semaines, le ministère des infrastructures va certainement résilier le contrat avec la Société internationale des travaux Maroc (SINTRAM). Pour avoir la version de l’entreprise, nous lui avons adressé des mails. Au moment où nous bouclons ces lignes, c’est toujours le silence.
Le projet de réhabilitation du tronçon Gounghin-Fada N’Gourma-Pièga-Frontière du Niger d’une distance de 218 Km a été subdivisé en trois lots. Le lot 1, section du PK 33+950 (Gounghin) au PK 84+350 (sortie de Fada N’Gourma) a été attribué à l’entreprise marocaine SINTRAM pour un montant de 34 523 634 564 FCFA TTC. Le lot 2, section du PK 84+350 (Sortie Fada N’Gourma) au PK 184+400 (Sortie Matiakoali) attribué au groupement YELHY TECHNOLOGY AFRICA/ROADS ENERGY CONSTRUCTION pour un montant de 37 942 613 617 FCFA TTC. L’entreprise SOROUBAT est en charge du dernier lot de la section du PK 184+400 (Sortie Matiakoali) au PK 251+516 (frontière du Niger) pour un montant de 29 324 273 869 FCFA TTC. Le financement est assuré par le groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD), l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA), l’UEMOA et l’Etat burkinabè.
Encadré
Des pertes énormes pour les transporteurs
Les transporteurs qui effectuent le trajet Gounghin-Fada N’gourma souffrent le martyr, et c’est peu de le dire. En plus des souffrances physiques et des dégâts matériels, ils enregistrent des pertes énormes sur le plan financier. Jean Sawadogo, responsable de gare dans une compagnie de transport en commun qui fait quotiennement ce trajet avoue ne pas savoir où donner de la tête. « On ne peut pas faire un jour sans que trois à cinq de nos cars ne partent au garage pour réparation » affirme-t-il. « Soit ce sont les ressorts à lames, soit ce sont les jumelles qu’il faut changer quotidiennement. Les ressorts à lames coûtent au minimum 400 000 FCFA l’unité, ce sont des pertes énormes pour nous » ajoute-t-il. Et ce n’est pas tout. Les engins des passagers qui ont subi des casses dans les coffres doivent être réparés par la compagnie. « Ce n’est pas moins de 5 à 6 motos de passagers que nous réparons chaque jour. », soutient le responsable de gare. Ouédraogo Wahab et Hamed Touré, tous chauffeurs, quant à eux, au-delà des dommages quotidiens enregistrés, pointent tous du doigt l’état de la route surtout en saisons pluvieuses.