21 novembre 2024
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Situation nationale : Le Front patriotique interpelle le Capitaine Traoré

Ceci est une lettre ouverte du Font patriotique adressée au président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré. Tout en rappelant une demande d’audience non accordée, le Front patriotique attire l’attention du capitaine président sur la nécessité de recadrer plusieurs aspects de la conduite de la transition. Sécurité, humanitaire, diplomatie, cohésion sociale, réconciliation nationale, etc. Lisez!

Excellence Monsieur le Capitaine Ibrahim TRAORE,

Président de la Transition, Chef de l’Etat,

Le Front patriotique, organisation citoyenne créée le 04 août 2022 et constituée d’organisations de la société civile (OSC), et de partis politiques légalement reconnus au Burkina Faso et d’autres composantes de la société qui adhèrent à ses objectifs, a l’honneur de vous adresser la présente lettre ouverte, pour évoquer la situation actuelle du pays et vous soumettre ses propositions pour la réussite de la Transition en cours.

Comme nous le rappelions dans notre déclaration publique de février 2023, « l’ambition du Front Patriotique est d’apporter sa contribution à la réussite de la Transition, d’une part en mobilisant le peuple aux côtés de ses forces de défense pour vaincre le terrorisme, d’autre part en proposant une refondation profonde de la gouvernance générale… C’est pourquoi [le Front] se conçoit comme un creuset rassemblant les capacités d’intelligence de notre peuple, pour faire de la Transition actuelle une opportunité pour jeter les bases d’une nouvelle société, répondant aux aspirations profondes de notre peuple à la sécurité, à la paix, à la justice, à la démocratie et au développement. »

Antérieurement, comme vous vous en souvenez sans doute, Monsieur le Président, le Front Patriotique vous a soumis le 12 janvier 2023, une demande d’audience malheureusement restée sans suite jusqu’à ce jour.

Notre analyse de la situation

La Charte de la Transition définit les missions essentielles de cette dernière, à savoir :

  • • « Rétablir et renforcer la sécurité sur l’ensemble du territoire national ;
  • • Apporter une réponse urgente, efficace et efficiente à la crise humanitaire ;
  • • Promouvoir la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ;
  • • Engager des réformes politiques, administratives et institutionnelles en vue de renforcer la culture démocratique et consolider l’Etat de droit ;
  • • Œuvrer à la réconciliation nationale et à la cohésion sociale ;
  • •Assurer l’organisation d’élections libres, transparentes, équitables et inclusives ».

Le rétablissement de la sécurité sur tout le territoire est actuellement le problème majeur de notre pays. Même si l’on n’est pas un spécialiste de la question militaire ou de sécurité, on peut constater et se convaincre que la situation s’améliore, et que la reconquête du territoire national est en progrès. On ne peut cependant manquer d’être ému et de s’interroger sur les problèmes soulevés par les graves drames récents comme ceux de Karma, d’Ougarou, de Youlou qu’il conviendrait d’élucider avec le concours de la justice civile, de la justice militaire ou des prévôtés récemment instituées.

Il faut cependant se réjouir des victoires obtenues sur les terroristes et sur leurs logistiques, grâce à l’utilisation des vecteurs aériens dans plusieurs régions du pays, ainsi qu’aux opérations terrestres de poursuites et de ratissages par les FDS et les VDP.

Le recrutement important des VDP (novembre 2022) puis l’adoption des décisions instituant la mobilisation générale et les réquisitions (avril 2023) en vue de la lutte contre le terrorisme, mesures que le Front patriotique avait préconisées dès sa création, vont aussi en principe renforcer la lutte, même si les décrets sur la mobilisation, qui doivent préciser les modalités de sa mise en œuvre, ne sont pas encore pris.

Le peuple attend cependant de connaître dans quelles conditions les populations chassées de leurs villages par les terroristes pourraient y retourner, avec notamment l’accompagnement administratif, sécuritaire, économique, infrastructurel et social, qui leur garantirait des conditions de vie stables et paisibles.

Malgré les pertes subies par les terroristes et les batailles qu’ils ont perdues sur le terrain, le nombre des personnes déplacées internes continue de croître. Ainsi, selon le CONASUR, au 31 mars 2023, le pays comptait 2 064 534 personnes déplacées internes (+3,17% depuis le 28 février 2023). Au total, ces PDI étaient composés de 1 029 014 enfants (49,84%) de moins de 14 ans, et de 581 801 femmes (28,18%) et 451 668 hommes (21,88%) de plus de 14 ans.

A cette même date du 31 mars 2023, 6 334 établissements scolaires (25%) étaient fermés pour cause d’insécurité, correspondant à 1 089 732 enfants déscolarisés et à 30 893 enseignants en arrêt d’activités pédagogiques.

La situation des populations est donc très grave, autant actuellement que pour l’avenir de la jeune génération et du pays tout entier. Il est donc plus qu’urgent de reconquérir tout le pays.

Sur les libertés et le traitement égal des organisations

Dans la dernière période, le Front patriotique a noté des décisions émanant des autorités politiques, de la justice, de la police ou de la gendarmerie, interprétées généralement comme des atteintes délibérées aux libertés garanties par la Constitution, notamment les libertés d’opinion et d’expression.

Il en est ainsi des décisions qui ont fait de quelques leaders d’OSC, des VDP malgré eux, sans même vérifier au préalable leur aptitude physique. De même, depuis le 5 mai 2023, d’autres activistes de réseaux sociaux, leaders d’OSC, de journalistes et de Partis politiques dont certains étaient pourtant considérés comme des soutiens au régime, ont été interpellés et interrogés par la gendarmerie ou la police, plusieurs jours ou plusieurs semaines durant. La notoriété et l’influence dont jouissaient plusieurs d’entre eux, ont conduit nombre de personnes, à s’interroger sur le bien-fondé de ces interpellations et à n’y voir que des formes d’intimidation d’un pouvoir qui ne se donne aucune limite.

Tous ceux qui se penchent sur l’analyse de la situation du Burkina Faso en conviennent : pour gagner la guerre et refonder notre pays afin qu’une situation semblable ne se reproduise, il faut assurer et consolider l’unité vraie du peuple et des différentes communautés qui le composent, derrière ses dirigeants et éviter de les diviser artificiellement.

Malheureusement, on a vu ces derniers temps, sur les réseaux sociaux notamment, des activistes qui s’auto-proclament « soutiens inconditionnels de IB (ou de la Transition) », lancer des menaces contre telle ou telle personnalité, tel ou tel autre leader d’OSC, et diviser les gens en « patriotes » et « anti patriotes », en « partisans » et « ennemis » de la Transition. On sait maintenant que ces diviseurs arrogants ne sont préoccupés que de lutter pour des places et ne se soucient nullement de voir le peuple sortir de la crise sécuritaire. Ils sont même prêts pour arriver à leurs fins, à recourir à des montages et à des manipulations pour susciter des exclusions et créer des fossés entre les autorités et ceux qui veulent réellement le succès de la Transition.

Ces soi-disant « soutiens inconditionnels » de la Transition jouissent de la plus grande liberté pour s’exprimer, organiser sous le couvert de « coordinations » éphémères de prétendues OSC, des manifestations et des marches à travers tout le pays. Par contre, des organisations reconnues et connues, légitimes et représentatives, soucieuses de la stabilité des institutions et du respect de la souveraineté du peuple, même quand elles déclarent expressément soutenir la Transition, continuent à être frappées d’ostracisme et se voient officiellement interdire de tenir même leurs réunions statutaires. C’est le cas notamment des partis politiques. Comment dans ces conditions engager un vrai dialogue avec les autorités et contribuer à l’unité vraie avec elles, des forces sociales légitimes et représentatives ?

Sur la situation économique et sociale

Excellence Monsieur le Président,

Comme vous le rappeliez dans l’interview que vous avez accordée à la presse le 4 mai dernier, pour gagner la guerre, il ne faut pas seulement se reposer sur les combattants et les armes. Il faut aussi assurer une gouvernance globalement vertueuse et apporter dans le même temps des solutions concrètes aux problèmes auxquels sont confrontées les populations.

Au plan économique, notre pays enregistre le taux d’inflation le plus élevé de la zone UEMOA, environ 18,2% en 2022, doublant quasiment le deuxième taux le plus élevé (Mali), évalué à 9%. La vie est véritablement chère pour les Burkinabè qui assistent à une chute drastique de leur pouvoir d’achat, aussi bien en zone urbaine qu’en zone rurale. Aucun secteur de la vie économique n’est épargné par l’inflation dont le niveau traduit surtout la faiblesse du système de contrôle des prix par les structures du ministère en charge du commerce. Jusqu’à quand les Burkinabè vont-ils tenir le coup ?

Cependant, comme ils l’ont dit le 1er mai dernier, depuis près de deux ans, les syndicats ont mis une sourdine à leurs revendications, dans le souci de ne pas gêner la lutte contre le terrorisme.

L’occupation partielle de notre pays par les groupes terroristes d’AQMI et de l’EIGS depuis quelques années a grandement nui à son développement économique. Ces groupes ont empêché l’exécution de divers projets économiques et sociaux destinés aux populations et chassé l’administration et les populations de plusieurs zones du pays. Ils ont délibérément saboté des infrastructures (ponts, routes, stations et forages de l’ONEA, pylônes de la SONABEL, antennes de télécommunications, etc.).

Ils ont organisé le blocus économique de nombreuses communes, obligeant l’Armée à organiser des ravitaillements, coûteux en vies humaines, partiels et évidemment insuffisants. Ils ont transformé les populations d’agriculteurs et d’éleveurs, chassés des villages qui étaient leurs zones de production, en mendiants improductifs à la charge d’un Etat dont les ressources ont toujours été très limitées.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que les dépenses liées à la guerre vont s’accroître inexorablement, du fait des achats d’équipements militaires, de l’accroissement du nombre des appelés, des VDP et des PDI, ainsi que des destructions inévitables.

Avec l’afflux massif des PDI, vers les villes plus sécurisées, le Burkina Faso est menacé par la famine pendant la période de soudure.

Le Front patriotique invite par conséquent le gouvernement à prendre avec diligence les mesures permettant de garantir une bonne saison agricole dans les localités où il est encore possible de cultiver, en cherchant à intégrer au maximum les PDI au travail de production. Il faudra aussi envisager des techniques culturales et la disponibilité d’intrants (semences, engrais à prix subventionnés) permettant de hausser les niveaux de productivité dans ces zones et de mieux assurer l’approvisionnement du peuple en produits vivriers.

Dans le même registre, il convient de trouver des solutions pour le règlement de la dette intérieure. Les opérateurs économiques se plaignent des lenteurs énormes observées dans le règlement de leurs factures. Eux aussi sont déjà fortement éprouvés par la situation sécuritaire qui leur enlève clients, représentants et marchés. Le gouvernement doit faire preuve d’imagination pour les soutenir afin de sauver les emplois du secteur privé.

Sur nos rapports avec l’extérieur

La diplomatie doit être au service des intérêts de notre peuple et de notre nation, même si l’on ne doit jamais oublier que nos interlocuteurs sont aussi animés de préoccupations similaires à l’endroit de leurs peuples et de leurs nations.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que certains pays peuvent avoir des ambitions géostratégiques particulières ou différentes des nôtres. Il ne sert donc à rien de se lamenter sur les différences de traitement fait à notre pays par rapport à d’autres.

Le Burkina Faso qui est en guerre contre le terrorisme, doit tout à la fois chercher à défendre son indépendance et sa dignité, mais aussi viser à étendre et consolider ses relations avec les puissances extérieures, africaines ou non, qui peuvent et veulent effectivement répondre à ses besoins urgents liés, d’une part à cette guerre (équipements, formation, informations, renseignements et même alliances) et d’autre part à ses conséquences négatives (crises humanitaire, économique, financière, sociale).

Il faut être en outre réaliste et s’en tenir aux missions prioritaires définies par la Charte de la Transition. C’est mal utiliser ses forces que de se lancer aujourd’hui dans des constructions politiques hasardeuses, au nom d’un suspect prosélytisme panafricain, dont on mesure mal sa perception par d’autres pays voisins.

Au plan régional, notre pays a besoin de la solidarité effective et active de ses voisins. Ceux-ci sont pour la plupart des États côtiers, désormais visés et attaqués par l’hydre terroriste. Développons de bonnes relations de fraternité avec eux. Travaillons aussi au sein de la CEDEAO et de l’Union Africaine auxquelles nous appartenons et qui semblent nous ostraciser actuellement, à faire en sorte que les intérêts des peuples soient désormais placés au centre de leurs décisions.

Les propositions du Front patriotique

Dans sa déclaration de février 2023, le Front patriotique avait déjà souligné ses inquiétudes quant au caractère fermé du MPSR dont la composition, les responsables et le fonctionnement restent mystérieux. Cela traduit-il une méfiance vis-à-vis de l’armée dont il est issu ou vis-à-vis du peuple pour lequel la Charte lui a donné mandat de diriger ?

Dans la première hypothèse, il est urgent de résoudre le problème, en ayant au besoin recours à l’influence morale des autorités coutumières ou religieuses. Dans la seconde, il s’agit manifestement de préjugés infondés car le MPSR-2 et la Transition jouissent au sein du peuple d’un soutien à priori.

Pour finir, le Front patriotique recommande au président de la Transition et pour l’intérêt et la survie de la nation, les mesures suivantes :

  • Poursuivre la mobilisation générale de tout le peuple et instaurer un système de défense populaire, pour assurer la victoire sur le terrorisme, et pour éviter que ne s’installe à nouveau dans le pays une situation de faiblesse et de déshérence de l’Etat et des institutions de la République ;
  • Mettre en place des groupes de travail pour réfléchir aux propositions de réformes politiques, administratives, institutionnelles, sociales et électorales endogènes ;
  • Convoquer dans les plus brefs délais de nouvelles Assises nationales inclusives avec la participation des forces sociales légitimes et représentatives, pour une Transition inclusive et plus consensuelle ;
  • Se démarquer des leaders anarchistes qui prétendent parler en son nom et portent des atteintes graves à la liberté et aux droits fondamentaux des citoyens et inviter la justice à poursuivre systématiquement ces atteintes ;
  • Poursuivre l’élargissement des coopérations internationales sur la base du respect mutuel de nos souverainetés et de l’indépendance de décision de notre pays.

Veuillez croire, Monsieur le Président de la Transition, à l’assurance de la très haute considération du Front patriotique qui continue à être à l’écoute de toute suite éventuelle à sa demande d’audience.

Fait à Ouagadougou, le 29 Mai 2023

Pour le Front Patriotique

Le Coordonnateur

Germain Bitiou NAMA

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