Ceci est une tribune du Pr Jacques Nanéma, enseignant-chercheur à l’Université Joseph Ki-Zerbo sur la liberté d’expression comme éthique intellectuelle.
La liberté d’expression pour tout homme en général et pour tout journaliste en particulier, chacun doit la subordonner au devoir de penser, de se servir de sa raison. C’est la meilleure garantie d’une expression intelligente et pertinente dans une société démocratique. Parler, écrire, c’est bien, mais tout le monde peut le faire. L’expression est à la portée de tous, l’expression sur l’expression de tous donne des obligations intellectuelles et des responsabilités éthiques au journaliste.
Le journaliste doit rompre dans son travail avec les chemins de facilité qu’emprunte monsieur tout le monde et il doit se rappeler constamment que son métier est encadré par une législation (qu’il peut d’ailleurs contribuer à faire évoluer au besoin).
Le journaliste doit faire mieux que n’importe quel quidam qui se contente de ragots et de rumeurs, donc sortir des fers de la démagogie quotidienne ou du populisme qui consiste à brasser les humeurs et les rumeurs juste pour faire plaisir et exciter les passions du grand nombre. La formation et l’autonomie du jugement sont des exigences élémentaires de l’homme public qu’est le journaliste.
Le véritable journaliste qui doit cesser de se laisser assimiler tantôt aux MC, tantôt aux animateurs qui pullulent dans les médias où ils occupent leurs journées et soirées à faire du bruit et à vendre du vent, se doit d’être un acteur bien formé, reconnu et respecté pour la qualité de son travail.
Réfléchi et mesuré, plus soucieux de cohérence dans son métier que d’exposer son cher-moi (culturel, religieux ou politique), il n’a pas pour vocation de servir la dictature de la majorité car d’une certaine façon, une presse intelligente et professionnelle se constitue un instrument d’éducation, de formation continue des citoyens.
Si la liberté d’expression doit être reconnue sans condition (on ne devrait même plus avoir à la réclamer), chacun doit se soucier de la renforcer par son engagement à se servir avec rigueur de son propre entendement pour ne pas se comporter comme une simple caisse de résonnance d’un pouvoir politique, religieux, économique, participant à amplifier les rapports de forces au lieu de contribuer à dénouer les nœuds de la domination des uns par les autres. La lucidité intellectuelle ne doit pas être un luxe pour le journaliste dans le regard qu’il pose sur le vécu de la société et sur le monde.
Loin de la peur de déplaire ou du souci de plaire au pouvoir comme au public, les journalistes devraient s’efforcer autant que faire se peut d’offrir une variété d’analyses des évènements et des pathologies du social qui rendent les citoyens toujours plus ouverts, plus respectueux des libertés, des différences et même des divergences qui nous constituent.
C’est dire que le journaliste doit savoir que sa propre valeur ne repose pas sur ses relations, mais plutôt sur la qualité de sa formation personnelle et professionnelle, sur la qualité et la fécondité de sa lecture des évènements du monde et surtout sur son souci de s’auto-former continuellement, de s’auto-performer pour toujours être à la hauteur des exigences de son métier en crise.