3 décembre 2024
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Crise AES-CEDEAO : La lecture et les pistes du Dr Harouna Kaboré

Ceci est une tribune de Dr Harouna Kaboré intitulé intelligence diplomatique et économique au service de la gestion des conflits : piste et réponse à la crise entre l’AES et la CEDEAO ». L’intelligence diplomatique et l’intelligence économique sont pour lui des piliers stratégiques pour gérer la crise. Dans ce texte, le Dr Kaboré plante le décor, il propose.

Les grandes lignes de la lecture faite par le Dr Harouna Kaboré s’articulent autour du contexte de la crise, de l’application de l’intelligence diplomatique, des liens entre les deux intelligences à savoir l’intelligence économique et l’intelligence diplomatique. Découvrez l’intégralité de l’analyse.

Introduction

L’intelligence diplomatique et l’intelligence économique sont deux piliers stratégiques pour la gestion des relations internationales et le développement économique. Leur synergie devient particulièrement cruciale lorsqu’on aborde des défis complexes comme la crise entre l’AES et la CEDEAO.

L’intelligence diplomatique est l’art de la négociation et de la stratégie pour résoudre pacifiquement les conflits entre États. Elle repose sur une compréhension approfondie des dynamiques politiques, économiques, culturelles et historiques des parties prenantes, ainsi que sur une capacité à anticiper les réactions et à trouver des solutions mutuellement bénéfiques. Cette tribune illustre l’application de l’intelligence diplomatique à la crise récente et en cours entre les pays du Sahel, regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) et la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’approche aborde la résolution du conflit et préconise quelques actions à mettre en œuvre après un accord entre les parties. Ces actions sont basées sur une exploitation de l’intelligence économique qui est sécante à l’intelligence diplomatique.

En effet l’intelligence diplomatique et l’intelligence économique sont interdépendantes et se renforcent mutuellement. Leur intégration permet aux États de naviguer efficacement dans l’arène internationale, de promouvoir leurs intérêts et de maintenir leur compétitivité et leur sécurité économiques.

Contexte de la crise

La crise entre l’AES et la CEDEAO trouve ses racines dans une série de désaccords politiques et économiques. L’AES, composée des pays que sont le Burkina Faso, le Mali et le Niger, a été créée récemment, en réponse à des défis sécuritaires et de développement, spécifiques à la zone sahélienne. En revanche, la CEDEAO, organisation régionale plus large, a été créée depuis 1975, avec pour objectif principal, de promouvoir l’intégration économique et la stabilité politique de l’Afrique de l’Ouest. Elle comprend quinze (15) pays dont les trois (3) pays de l’AES.

Les tensions se sont exacerbées lorsque les dirigeants des trois pays de l’AES ont estimé que leurs besoins spécifiques n’étaient pas suffisamment pris en compte par les instances de décisions de la CEDEAO. Aussi des sanctions économiques prises par la CEDEAO en réponse à des changements de régimes non constitutionnels dans les pays de l’AES ont également envenimé les tensions.

L’idée principale de cet essai est de considérer que la crise actuelle est surmontable car toutes les crises ont une réponse ! Le plus dure est de la trouver et la pire chose est de considérer qu’il n’y pas de solution. Toutes les forteresses sont prenables, nous enseigne l’histoire !

Application de l’intelligence diplomatique

Pour résoudre cette crise, plusieurs approches d’intelligence diplomatique peuvent être mises en œuvre. Ces approches doivent pouvoir traiter les questions soulevées de manière holistique en commençant par le dialogue.

1. Dialogue inclusif et multilatéral

L’intelligence diplomatique préconise la mise en place de forums de dialogue où toutes les parties peuvent exprimer leurs préoccupations et leurs intérêts. Dans ce cas, des réunions entre les dirigeants des pays de l’AES et ceux de la CEDEAO doivent être organisées, avec par exemple la médiation de l’Union africaine. Ces rencontres permettront d’identifier les points de convergence et de divergence.

2. Compréhension mutuelle et concessions

Une des clés de l’intelligence diplomatique est la capacité à comprendre les besoins et les contraintes de l’autre partie. Les discussions devront permettre aux pays de la CEDEAO de reconnaître davantage, les défis uniques du Sahel en matière de sécurité et de développement, tandis que les pays de l’AES devront envisager de réviser leur position de rupture avec une CEDEAO dont tous admettent la nécessité d’opérer des updatings qu’imposent l’évolution et les aspirations communes et consensuelles aux populations de cet espace. Ainsi des concessions mutuelles pourront être faites comme l’assouplissement de certaines sanctions ou exigences de la CEDEAO en échange d’engagements de réformes politiques et de mise en place d’institutions, ainsi que le choix des dirigeants par les voix démocratiques comme le prévu du reste par les constitutions des pays de l’AES.

3. Création de mécanismes de coopération régionale

Pour renforcer la confiance et promouvoir la coopération, des mécanismes spécifiques pourraient être mis en place. Un comité mixte AES-CEDEAO peut être créé pour superviser la mise en œuvre des accords et assurer une communication continue. Ce comité se réunirait régulièrement pour évaluer les progrès et résoudre les nouveaux différends. L’existence de l’AES ne devrait pas être antinomique en termes d’appartenance à la CEDEAO. L’AES, a l’image du Liptako-Gourma, deviendrait un outil spécifique aux trois pays concernés, pour traiter des questions transversales entre eux, avec la possibilité de bénéficier d’un accompagnement des institutions de la CEDEAO. Le cas du défunt G5 Sahel en est un exemple où 03 des 05 des États membres (du reste, les mêmes que ceux qui composent l’AES) étaient également membres de la CEDEAO. Idem pour le cas du conseil de l’entente.

4. Soutien international et partenariats stratégiques

L’intelligence diplomatique reconnaît l’importance des acteurs internationaux dans la résolution des conflits régionaux. Des organisations multilatérales notamment celles du système des nations unies pourraient être sollicitées pour fournir un soutien financier et technique à la mise en œuvre des accords, renforçant ainsi la crédibilité et la viabilité des solutions trouvées.

En somme la CEDEAO et l’AES devront se donner les moyens de trouver une solution à cette crise pour l’intérêt général des populations des États de la sous-région qui sont unies par l’histoire et la fraternité, ainsi que par tant d’intérêts économiques et sociaux. Si le départ des trois pays de l’AES venait à être définitivement acté à l’échéance prévue par les textes de la CEDEAO (en janvier 2025), alors cela pourrait constituer une porte ouverte pour le départ d’autres États et entraîner la dislocation de la CEDEAO dans les années à venir. La CEDEAO a des insuffisances certes, mais elle demeure une institution utile qui a joué un grand rôle dans l’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest, créé les conditions de stabilité des institutions des pays membres et mis en place des instruments et des réformes pour le développement du secteur privé. Il faut préserver la CEDEAO, il faut regagner les cœurs des pays de l’AES.

Traitement des questions majeures de développement et de sécurité des États de la CEDEAO

La prise en compte des préoccupations spécifiques de l’AES et de la problématique globale du développement et de la sécurité dans l’espace CEDEAO nécessite certainement un meilleur traitement au regard des attentes des populations de cette communauté ouest-africaine. En effet les critiques qu’elles font des insuffisances de la CEDEAO face aux nouveaux enjeux et défis de la région sont à traiter en faisant évoluer par exemple, le rôle de l’institution pour être en mesure d’y faire face.

L’intelligence diplomatique ayant servi pour négocier un accord de paix et de coopération, l’intelligence économique pourrait entrer en jeu pour identifier les défis à relever et les questions majeures à traiter.

Liens entre les deux intelligences : économique et diplomatique.

                1. Complémentarité stratégique

Les accords négociés par la diplomatie peuvent ouvrir des opportunités économiques, tandis que l’information économique peut orienter la stratégie diplomatique. La dimension sécuritaire, notamment la lutte contre le terrorisme, renforce cette complémentarité en créant un besoin de coopération accrue.

                2.Renforcement mutuel

Les informations économiques peuvent orienter les décisions diplomatiques, notamment en matière de sécurité. Par exemple, connaître les sources de financement du terrorisme peut aider à négocier des accords de coopération sécuritaire plus efficaces.

                3.Sécurité économique et lutte contre le terrorisme

La collaboration entre intelligence diplomatique et économique permet de protéger les intérêts nationaux contre les menaces économiques et sécuritaires. Des mesures économiques ciblées, comme le gel des avoirs ou les sanctions, peuvent être utilisées comme outils diplomatiques pour affaiblir les réseaux terroristes.

                4.Influence et pouvoir

Une économie forte soutenue par des relations diplomatiques stables permet de mieux lutter contre le terrorisme. Un pays économiquement stable a plus de ressources pour investir dans la sécurité et la lutte contre le terrorisme.

Le traitement des questions majeures peut suivre un cycle qui consiste à mieux les identifier et à produire des réponses transversales dans l’espace CEDEAO avec l’AES en son sein. Cela pourrait consister à :

– a. Évaluer les besoins des pays de l’AES en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme :

Les pays de l’AES ont chacun ou collectivement adopter des politiques et des stratégies de lutte contre le terrorisme. Un accompagnement de la CEDEAO à la mise en œuvre des actions en lien avec ces stratégies ou à les améliorer peuvent constituer un début de la prise en compte des préoccupations des populations de ces zones.

b.  Identifier les secteurs économiques prioritaires :

Dans les domaines comme l’agriculture, l’énergie ou les infrastructures, des projets de coopération pourraient être lancés pour stimuler le développement régional. L’une des conséquences du terrorisme est l’affaiblissement des capacités productives des États du Sahel dans des secteurs stratégiques comme l’agriculture et l’énergie. Des projets au niveau régional peuvent être envisagés pour résorber la crise énergétique et des appuis conséquents pour la sécurité alimentaire sont nécessaire pour la prise en charges des personnes déplacées internes et toutes les populations vulnérables.

c. Surveiller l’impact économique des accords

En collectant et en analysant des données économiques pour évaluer les bénéfices réels des accords et ajuster les stratégies en conséquence. Cette action permanente permettra de vérifier l’atteinte des objectifs et des cibles des décisions dans un processus d’amélioration continue.

d. Favoriser les investissements

En utilisant la stabilité politique obtenue grâce à l’intelligence diplomatique pour encourager les investisseurs locaux et attirer des investisseurs étrangers dans la région. Le secteur privé reste le moteur de développement économique des pays de la CEDEAO et la première source de création des emplois pour les jeunes et les femmes qui sont les victimes des crises que vivent la région. Les investissements du secteur privé deviennent indispensables pour accroître les progrès économiques régionaux à travers des projets à dimension régionale.

Conclusion

La résolution de la crise entre l’AES et la CEDEAO est possible grâce à l’efficacité de l’intelligence diplomatique. Par un dialogue inclusif, une compréhension mutuelle, des concessions et la création de mécanismes de coopération, les parties peuvent réussir à surmonter leurs divergences et à poser les bases d’une collaboration fructueuse. Cette approche peut servir de modèle pour la gestion des éventuels conflits futurs, soulignant l’importance de la diplomatie dans la construction d’une paix durable. Dans une Afrique dont l’agenda 2063 de l’union considère l’intégration économique comme déterminant à son développement et où des organisations telles la CEDEAO joue un rôle important dans la mise œuvre de l’accord économique qu’est la ZLECAF (Zone de libre-échange continentale africaine), l’émiettement des grands ensembles pourraient compromettre certains progrès. Nous formulons le vœu que les dirigeants des pays de notre espace sous-régional parviennent à résoudre la crise entre l’AES et la CEDEAO pour briser davantage les frontières entre nos pays qui nous ont été imposées par les colonisateurs. Ne renforçons pas la balkanisation de l’Afrique, mais brions plutôt les murs et construisons davantage des ponts, des liens et de la fraternité. Les défis et les enjeux de la situation sont énormes et complexes certes, mais nous avons les ressources intellectuelles, l’imagination fertile, les savoirs endogènes solides et la mémoire collective nécessaire pour apporter les réponses nécessaires. À propos méditons ensemble cette affirmation de l’un des pères de l’Unité Africaine : « Cette unité africaine est tellement chère à nos cœurs que, dans la constitution républicaine que nous avons proposée, une disposition précise et concrète a été inscrite à ce sujet : que ce soit en tout ou en partie, la souveraineté du Ghana se veut subordonnée à la réalisation de ce grand objectif ». Méditons et vivement la sécurité, la stabilité, la paix et la prospérité économique et sociale au Sahel.

Dr Harouna KABORÉ

Ancien Ministre / Chef d’entreprises

hkab24@yahoo.fr

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