Félwine Sarr, l’intellectuel sénégalais et promoteur de l’Ecole doctorale des Ateliers de la pensée a répondu à deux questions de L’InfoH24.Info relatives à sa vision du panafricanisme. C’était à Ouagadougou le 24 juin 2021.
L’InfoH24.Info : On vous pointe du doigt du faite de prendre part au comité pour l’Afrique du président Macron ; que répondez-vous?
Felwine Sarr : Je ne fais pas partie de la commission Macron pour le sommet Afrique-France et pourtant certains me reprochent d’y être. Ce que je trouve problématique dans notre espace, c’est qu’on a des activistes et des intellectuels, qui luttent en principe pour la même cause : l’émancipation de l’Afrique. Mais qui passent leur temps à faire des procès en sorcellerie aux uns et aux autres dès qu’il y a une divergence sur les approches. Au lieu d’accepter la pluralité des démarches, on accuse les uns et les autres de tous les maux de la terre, on leur intente des procès d’intention ou on remet en cause leur intégrité. Dans notre espace, au lieu d’articuler nos luttes et de créer des solidarités, des gens passent leur temps à se vouer aux gémonies, au lieu de construire un rêve africain, certains passent leur temps à vouloir démontrer que c’est eux les plus grands panafricanistes ; je trouve cela problématique.
L’InfoH24.Info : Quelle est votre adresse à l’endroit de vos pourfendeurs?
Felwine Sarr : Je n’ai rien à leur prouver, parce que mon engagement pour le continent, il est sans faille ; j’écris, j’enseigne à la faculté ; j’ai produit de la pensée et je suis engagé dans le réel… je n’ai pas à leur prouver quoi que ce soit, je n’ai rien à leur démontrer, ils n’ont pas le monopole de l’amour de l’Afrique. Je ne leur octroie pas la légitimité d’être les juges de la sincérité de mes engagements.
On a le droit d’avoir des réserves sur cette commission de Macron à propos de l’Afrique, mais est-ce que c’est une raison pour vouer aux gémonies des gens qui veulent discuter et proposer des voies ? Il faut observer et à la fin, on jugera, du résultat de ces rencontres !
J’ai vu des attaques ignobles contre Achille Mbembé, contre sa personne, qui vont même jusqu’à tenter de remettre en cause son intellectualité et son intégrité. Il faut arrêter. La contribution intellectuelle de Achille est fondamentale et elle le restera.
Si on n’est pas capable d’avoir un débat démocratique et pluriel, nous sommes loin de la fin de notre porte obscure ! Il y a une sorte de violence symbolique qui fait que quand on n’est pas d’accord avec une démarche, on tente de délégitimer ceux qui en sont les porteurs ! Ce n’est pas comme ça qu’on construit notre continent, on a besoin de tout le monde, des intellectuels, des artistes, les hommes de la rue, des paysans : on a besoin d’une intelligence stratégique, c’est là où on est faibles, parce qu’on n’arrive pas à construire des communautés avec nos différences pour le même objectif. Notre vraie faiblesse, c’est le manque d’intelligence stratégique, c’est dire qu’on a le même combat, celui de l’émancipation de l’Afrique, chacun est à un niveau et que nous sommes, la même armée, et dans une armée, on a besoin de fantassins, du renseignement, des marins, des transmissions… qui tendent tous vers un même objectif. Ce qu’on a à faire, c’est ne pas épuiser notre temps à répondre à des gens qui vous font des procès d’intention et continuer son travail.
L’InfoH24.Info : Pour ceux qui s’identifient à vos idées, quel est votre message ?
Felwine Sarr : Que le combat est d’abord intellectuel, parce que la politique commence par les idées, il ne faut pas croire qu’on va transformer ce continent si on pense que la réflexion intellectuelle est inutile, on doit cultiver la capacité de le comprendre de manière précise et fine, autrement nous ne pourrons pas le construire, il faut agir certes, mais considérer que la pensée est le préambule de l’action et que les deux vont ensemble.
Il faut réfléchir pour transformer le réel. Le continent a un déficit de pensée. Il faut qu’on se pose les bonnes questions ? Qu’est ce qui n’a pas fonctionné ces soixante dernières années ? Est-ce que nos organisations sociales, économiques, politiques ont été bien pensées ? C’est ça qui est fondamental pour le changement.
Bien dit,le déficit de pensée est réel et vrai. Nombreux sont ceux qui croient que la réflexion fine est inutile. Certains combattent tous ceux qui ne font pas comme eux,ce qui déplorable.